OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [itw] Tim Hardy: “Les policiers ne sont pas inquiétés, mais la situation est en train de changer” http://owni.fr/2011/03/27/itw-tim-hardy-les-policiers-ne-sont-pas-inquietes-mais-la-situation-est-en-train-de-changer-et-cest-du-a-la-technologie/ http://owni.fr/2011/03/27/itw-tim-hardy-les-policiers-ne-sont-pas-inquietes-mais-la-situation-est-en-train-de-changer-et-cest-du-a-la-technologie/#comments Sun, 27 Mar 2011 13:06:04 +0000 Thomas Seymat http://owni.fr/?p=53721 Tim Hardy est un ingénieur en logiciel et un blogueur qui se plait à citer Alain Badiou. Il est aussi militant, actif nuit et jour contre les coupes budgétaires s’élevant à 87 milliards de livres décidées par le gouvernement au Royaume-Uni. Les cheveux et la barbe poivre-et-sel de Tim sont des indices que pour lui la quarantaine est proche. Mais quand il distribue des tracts, crie des slogans ou explique avec passion à une caissière l’impact des décisions des responsables politiques, il est impossible de ne pas remarquer une lumière presque juvénile dans ses yeux bleus. Cet homme pourrait militer 24h sur 24 et 7 jours sur 7 si dormir n’était pas une nécessité vitale. J’avais rendez-vous avec Tim pour déjeuner vers son lieu de travail dans le quartier de Bermondsey, au sud de Londres. Pendant l’interview, réalisée la semaine dernière, impossible de l’arrêter. Nous avons parlé des coupes budgétaires, de la manifestations du 26 mars (qu’il préparait et qui a été un franc succès, avec au moins 250 000 manifestants à Londres), du rôle des médias sociaux dans la mobilisation et de comment, avec quelques amis, il entend garder les manifestants mobiles et sains et saufs.

OWNI: Le 26 mars, une grand manifestation pour soutenir des alternatives aux coupes budgétaires va avoir lieu à Londres, c’est bien ça? [NDLR: interview réalisée avant la manifestation du 26 mars]

T.H: Oui, le TUC [le congrès de syndicats britanniques, organisateur de la manifestation] a prévu 450 bus, d’autres personnes vont venir par leurs propres moyens. En plus du parcours officiel déposé par le TUC, il y en aura d’autres, moins officiels, partant de différents endroits de Londres et qui rejoindront le cortège principal. Il est aussi prévu d’occuper des endroits cruciaux du centre-ville. Le mouvement « Stay there for one day » projette d’occuper Hyde Park pendant 24 heures et UK Uncut va tenter de bloquer Oxford St. C’est difficile de prévoir à l’avance combien de personnes on attend pour cette manif. Le TUC est très pessimiste, je pense, il estime qu’il y aura 200 000 manifestants. La plupart des gens pensent que c’est une sous-estimation. Il y a eu un million de personnes dans les rues pour Stop the War [NDLR: en février 2003 ]. Nous voulons que cette manifestation soit aussi importante. Il y a d’autres groupes, des militants pour les droits des handicapés, comme Disable People Against Cuts (DPAC, Handicapés Contres les Coupes), dont la plupart sont trop diminués pour physiquement participer à la manifestation. Du coup, ils vont organiser une manifestation en ligne : il y aura une carte du Royaume-Uni sur laquelle ils pourront placer des punaises virtuelles, et y accoler des photos, des vidéos et des messages écrits.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

O. Depuis octobre, le mouvement social a réussi à conserver une forme de mobilisation, de basse-intensité mais continue, contre les coupes budgétaires avec l’aide des médias sociaux. Ca fait presque six mois, c’est assez impressionnant…

T.H. Exactement. Nous avons atteint un point où il y a pratiquement des actions tous les weekends, sauf le dernier parce qu’on a fait une grande conférence. Les deux weekends avant ça, nous avons fermés toutes les banques du centre de Londres. Les cibles changent: au début, le focus était sur les entreprises qui trouvent des moyens légaux pour payer le moins d’impôts possibles, comme Vodafone et Boots. Maintenant, l’attention semble se diriger contre les banques qui sont la cause sous-jacente des coupes et qui font aussi tout pour esquiver les impôts. Le nombre de gens impliqués a augmenté semaine après semaine. Nous sommes passés d’une à deux actions par jour à 40-50 dans tout le Royaume-Uni. Et le mouvement s’internationalise: US Uncut, France Uncut, Ontario Uncut… C’est un idée dont le moment est venu et qui se répand grâce à Internet. Pendant longtemps, le capitalisme globalisé a utilisé sa mobilité pour esquiver les impôts en déménageant. Aujourd’hui, nous ripostons.

O. Selon toi, est-ce que cette internationalisation du mouvement est le fait de nouveaux militants ou bien est-il relayé localement par des organisations étudiantes ou altermondialistes et des partis politiques?

T.H. Je pense que c’est un peu un mélange de tout ça. UK Uncut a une vocation très précise, mais c’est impossible de se limiter, de la même manière que le mouvement étudiant au Royaume-Uni a commencé à propos de l’augmentation des frais d’inscriptions, ces augmentations sont le symptôme de quelque chose d’autre – la marchandisation de l’éducation supérieure. C’est l’idée que l’éducation supérieure n’a qu’une valeur utilitaire, qu’on n’obtient un diplôme que pour gagner plus d’argent, ce qui implique que les Arts & Humanités inutiles.

Nous avons été témoins des coupes de 100% dans le budget des Arts & Humanités parce qu’ils « n’avaient pas de valeurs économiques ». Vu que la loi sur les frais d’inscription a été votée, le mouvement étudiant a changé et a adopté des arguments idéologiques plus larges. Idem pour UK Uncut. Il a commencé par être contre les “échappeurs d’impôts”, mais plus on creuse, plus on se rend compte que ce problème fait partie d’un problème plus grand encore. Il est lié par exemple au mouvement anti-commerce d’armes et aux mouvements pacifistes : la banque Barclays est le plus grand investisseur mondial dans le commerce d’armes. C’est impossible de s’attaquer à un tel problème sans réaliser à quel point ils sont interconnectés.

O: Lors de manifestations précédentes à Londres, la police a mis en place la tactique dite de la bouilloire qui consistent à encercler des groupes de manifestants et de les garder prisonniers pendant plusieurs heures sans possibilité de sortir, comme le 9 décembre sur le pont de Westminster. Tu fais partie d’une équipe qui a créé un outil, Sukey, pour éviter de futures « bouilloires ». C’est une application qui permet aux utilisateurs  de renseigner en direct une carte en ligne en indiquant où sont les forces de police. Ils peuvent aussi recevoir messages et SMS en temps réel. Peux-tu nous en dire plus sur le sujet ?

T.H. C’est une application qui est comme un logiciel de publication, le logiciel te laisse le contrôler mais il y a aussi une équipe éditoriale qui le gère: c’est assez similaire à une rédaction d’un journal. L’équipe Sukey est pour le moment disponible pour des manifs au Royaume-Uni mais nous allons bientôt diffuser le logiciel sous une licence GPL 3 pour que tout le monde puisse l’utiliser et le modifier gratuitement. Nous ne nous occuperons pas des manifestations à l’étranger, mais d’autres gens peuvent le faire et nous pouvons les conseiller. Nous espérons rendre Sukey suffisamment robuste sur les questions de sécurité et de confidentialité. Pour l’instant, les réglages sont suffisamment robustes pour l’Europe, mais ils ne le sont pas pour des endroits comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Nous voulons changer ça et le rendre plus costaud, comme ça, même si le gouvernement coupe le réseau, les gens pourraient avoir un réseau autonome en maille qui leur permetterait de communiquer « many-to-many » au sein de la masse de personnes plutôt que dépendre d’un unique FAI. Nous aimerions que Sukey soit utilisé dans le monde, y compris contre les régimes oppressifs. Mais c’est pour le long terme, pour le moment on est concentré sur le 26 mars.

O. Il est frappant de voir à quel point le mouvement anti-coupes au Royaume-Uni a adopté les médias sociaux et les technologies mobiles. J’aurais imaginé que des groupes de gauche ou d’extrême-gauche soient un peu néo-luddistes ou au moins méfiants des outils technologiques comme les smartphones qui sont de purs produits de la mondialisation.

T.H. Il y a beaucoup de problèmes autour cette question. Les produits Apple par exemple posent de très sérieux problèmes en ce qui concerne les droits de l’Homme et les droits numériques. Si vous parlez à des militants des droits numériques, il vous disent qu’ils haïssent Apple. Les téléphones portables sont aussi des outils d’aliénation et d’atomisation. Mais nous avons reçus des compliments de la part de l’extrême-gauche et d’anarchistes parce que nous utilisons ces outils d’aliénation pour redonner du pouvoir aux gens. Un certain pragmatisme est nécessaire.

Si par pureté idéologique, vous dites « je ne ferai pas ça, je n’utiliserai pas ceci », vous n’allez jamais réussi à avoir du pouvoir. Vous serez laissé à la traîne. Sukey essaie de garder une position neutre, mais il est évident que ce que nous faisons est politique, notre impact est politique. Nous sommes critiqués des deux côtés, c’est dur de garder l’équilibre. Nous avons aussi une relation un peu tendue avec la police, qui n’est pas contente de ce que nous faisons. Mais dans le même temps, nous ne faisons rien d’illégal donc ils ne peuvent pas nous arrêter.

O. J’ai lu que l’équipe Sukey pensait inclure des messages de la police dans l’application si ces messages respectent votre charte. C’est le cas?

T.H. Absolument. Nous ne savons pas encore s’ils accepteront notre offre. Le 28 février, un communiqué de la police disait qu’ils commenceraient à utiliser Twitter pour prévenir les gens des « bouilloires », avec un ‘officier Twitter’ spécialement affecté à la tâche. Mais ils n’ont pas cité notre nom une seule fois. Nous parlerons avec la police dans une certaine mesure et nous leur dirons « vous n’aurez jamais nos données ».

Si la police débarquait dans les locaux de Sukey et prenait nos ordinateurs, aucune donnée permettant d’identifier ou d’incriminer des gens ne s’y trouverait. Nous avons réalisé Sukey de façon à ce que ceux qui contribuent à l’application soient à l’abri. Tout est anonymisé et nous ne de gardons aucune donnée, point final. A chaque manifestation, on recommence à zéro. Cependant, on n’a pas de contrôle sur les compagnies de téléphone. La police peut aller voir Orange ou autre, et demander des informations sur tel ou tel message. Nous prévenons les gens, nous leur disons « vos messages sont lus ». Des groupes nous critiquent parce que l’on parle avec la police, mais on ne peut pas plaire à tout le monde. Si on n’était pas en contact avec la police, on aurait été fermé depuis longtemps. On préfère pouvoir continuer. Mais on a toujours refusé de les laisser rentrer dans nos bureaux pendant qu’on s’occupe d’une manifestation. Pour le 26, nous ne serons pas les seuls à surveiller la police. Indymedia London les aura aussi à l’oeil, et des vidéos sur la police pourront être hébergées sur VisionOnTV, récemment lancée.

Puisque les principaux médias ne sont pas trop chauds pour couvrir les manifestations, la police prend ça comme un feu vert pour utiliser la violence. Elle a déjà fait passé des articles dans les journaux ou sur la BBC qui préviennent qu’il y aura des « fauteurs de troubles » et des violences. Mais à lire des commentaires sur des forums ou des blogs de policiers du style « on va botter le cul de quelques étudiants ce weekend », on peut voir que la perspective de violence en excitent certains. Et il savent qu’ils ne vont pas être inquiétés, parce qu’historiquement ils ne le sont jamais. C’est une minorité au sein de la police mais le problème, c’est que cette minorité agit avec impunité parce que la police ressert les ranges lorsqu’on l’accuse. On l’a vu après la mort de Iam Tomlinson et comment la police a tout nié en bloc et s’en est sorti indemne.

Les policiers ne sont pas inquiétés mais je pense que la situation est en train de basculer et que c’est dû à la technologie. C’est un outil incroyable de répression, nous faisons tout le travail de renseignement de la police lorsqu’on l’utilise. C’est pratiquement impossible de la sécuriser : au Royaume-Uni, si vous utilisez de la cryptographie et que vous refusez de donner votre mot de passe à la police, vous risquez cinq ans de prison. C’est comme ça. Et puis vous pouvez avoir un virus ou un key-logger… Même si vous vous y connaissez beaucoup en informatique, c’est très dur de sécuriser un ordinateur. Mais la technologie aplatit les hiérarchies, je ne dis pas que tout le monde est égal et il peut subsister des chevauchements avec des médias plus anciens, mais le prix d’entrée est plus bas. Tout le monde peut ouvrir un blog, devenir influent et si votre message est puissant, vous serez lu.

O: Est-ce que la raison pour laquelle tu as commencé à bloguer?

T.H. Non, mon but est plus simplement d’explorer. J’ai blogué depuis près de dix ans et j’ai décidé de tout supprimer l’an dernier parce que j’avais de sérieuses réserves quant à la valeur de l’engagement sur Internet. J’ai décidé de reprendre cette année mais je ne fais pas d’égo-blogging. Je me concentre entièrement sur les coupes, le rôle des technologies et comment elles peuvent rendre la société plus progressiste. Je ne suis pas intéressé par l’argent, il n’y pas de pub sur mon blog, je veux juste relever le niveau du débat. Il y a un petit nombre de commentateurs, toujours les mêmes, qui interviennent lorsqu’il y a des débats sur les médias sociaux, et ils passent vraiment à côté de nombreuses évidences.

O. Quel genre d’évidences?

T. Prenez Evgeny Morozov par exemple, dans son livre the Net Delusion, il a une vision plutôt nuancé des possibilités pour la technologie de construire une société civile plus forte. Mais dans ses interviews et ses éditos, il adopte la vision beaucoup plus étriquée d’un Internet inutile et qui ne sert qu’à la répression. Parce que ça créé le débat, ce que les médias aiment: c’est manichéen et ça fait vendre des livres. Du coup, malheureusement, une grande partie du débat finit dans un cul-de-sac [en français dans le texte] intellectuellement paresseux. Beaucoup de gens arguent que le militantisme en ligne est simplement un pantomime, qu’il agit comme une alternative aux actions et qu’il court-circuite les élans militants. Je suis d’accord qu’il peut s’agir d’un risque mais cela ne se limite pas à ça. Si 1000 personnes lisent un article et que, parmi eux, 100 cliquent sur le bouton « j’aime » de Facebook et qu’un seul sort de chez lui et essaie de changer les choses, c’est ça l’important. Le reste est hors-sujet.

Illustrations CC FlickR xpgomes5, barnoid, Thomas_Ashland,

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Angleterre: un conflit de basse-intensité relayé par Internet http://owni.fr/2011/03/27/angleterre-un-conflit-de-basse-intensite-relaye-par-internet-ukuncuts/ http://owni.fr/2011/03/27/angleterre-un-conflit-de-basse-intensite-relaye-par-internet-ukuncuts/#comments Sun, 27 Mar 2011 09:46:33 +0000 Thomas Seymat http://owni.fr/?p=53665 Au Royaume-Uni, la pilule de l’austérité mise en place par la coalition Clegg-Cameron a beaucoup de mal à passer pour certains. Faisant face à des coupes budgétaires s’élevant à plus de 87 milliards de livres (près de 100 milliards d’euros) étalées sur quatre ans et à des frais d’inscription universitaires qui vont jusqu’à tripler par endroit – de 3.000 à 9.000£ par an –, des organisations et des individus se mobilisent depuis plus de six mois. Grâce à Internet et aux médias sociaux, de petits groupes d’activistes mènent une guérilla ininterrompue, sorte de conflit social de basse-intensité qui occupe le terrain et tentent de mobiliser au-delà des cercles militants traditionnels.

A chaque journée d’action son hashtag

S’il est vrai que le mouvement social s’est fait remarquer au départ par des manifestations étudiantes agitées, comme l’occupation du quartier général du Parti conservateur ou les affrontements devant le Parlement de Westminster, la mobilisation s’est étendue à d’autres groupes de personnes affectées par les coupes. Pour fonctionner, le mouvement a complètement adopté médias sociaux et technologies mobiles. A chaque journée d’actions son hashtag (#dayx3, #march26), à chaque fac occupée son compte Twitter (@UCLOccupation, suivi par 5.000 personnes) et à chaque cortège son live-tweet. Un seul mot d’ordre relie tous ces évènements entre eux : #solidarity.

De cette constante présence en ligne émergent quelques voix qui sont devenues des références, des ‘influenceurs’ de la mobilisation. On y trouve par exemple @Pennyred, une militante, bloggueuse et éditorialiste qui pèse près de 14.000 followers. Sa soudaine notoriété lui donne  “un peu le vertige: il y a neuf mois, “[elle] n’avait que 1000 followers“. Laurie Penny (son vrai nom) écrit aujourd’hui dans plusieurs journaux, en plus d’être devenue une référence invitée lors de conférences ou à la radio. De son côté, @Sunny_hundal, 9.000 followers, est rédacteur-en-chef d’un blog ironiquement intitulé ‘Liberal Conspiracy‘ et premier du classement Wikio des blogs politiques du Royaume-Uni.

Les organisations de militants, tel UK Uncut, 23.000 followers, utilisent également Internet tous les jours pour faciliter l’organisation de leurs actions à l’échelle du pays. Il existe en effet un compte Twitter Uncut pour chaque grande région ou ville. Le mouvement est décentralisé, il suffit d’une carte Google, d’un marqueur avec une adresse email et c’est parti : cela peut aller de cinq personnes distribuant des tracts à un rassemblement d’une centaine de personnes occupant une banque pour protester contre le montant des bonus ou sa politique d’évasion fiscale. Le 19 février, c’est Barclays qui en fut la cible: en 2009, la banque a réussi à ne légalement payer que 2,5% de son revenu global en impôt, soit 113 millions de livre sterling. Dans le même temps, elle a distribué dix fois ce montant en bonus pour ses banquiers. Des chiffres qui nourrissent la colère et le ressentiment du mouvement qui y voit le symbole de l’inégalité de la répartition des efforts de réduction du déficit budgétaire.

Devant la banque Barclay's, lors de l'occupation

Même le vénérable Trade Union Congress, fédération des syndicats britanniques fondée en 1868, s’est mis à Internet, avec un site et une page ‘événement’ sur Facebook pour la manifestation du 26 mars.

Des “community managers” de la mobilisation

Organisations et individus influents jouent presque le rôle de “community managers” de la mobilisation. Ils échangent, font de la veille média, re-tweetent leurs articles de blogs respectifs et contribuent à ce que la discussion à propos du mouvement social ne s’arrête jamais. Deux avantages se distinguent: d’une part l’apparente transparence du mouvement empêche qu’il s’ankylose ou soit phagocyté, d’autre part, les dizaines d’actions menées dans le pays occupent le terrain médiatique et permettent de faire passer le message dans les médias. Le Guardian semble particulièrement épris du mouvement. C’est rare qu’un jour passe sans qu’un article ou un édito ne le mentionne, l’un d’entre eux expliquait que c’était la mobilisation la plus rapide qu’ait connu à ce jour le Royaume-Uni.

Le mouvement a aussi ses vidéos virales. Le (you)tube du moment – 60.000 visionnages depuis le 22 mars– est un clip de rap sobrement intitulé « Andrew Lansley Rap », du nom du politicien conservateur et actuel ministre de la santé britannique. Sur un beat simple agrémenté du riff de House of the rising sun (Les portes du pénitentier), le rappeur MC Nxtgen pose un flow grimey et nerveux et accuse le ministre de vouloir privatiser le National Health Service, le système de santé du Royaume-Uni. « Andrew Lansley, avare, Andrew Lansley branleur, le NHS n’est pas à vendre », assène dans le refrain le MC, sec comme un coup de matraque.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et c’est l’un des passages le le plus light, Lansley en prenant pour son grade tout au long des couplets. Mais le MC élève le débat et rappelle dans ses paroles les controverses entourant sa cible. Avant d’être ministre, Lansley a reçu de l’argent de lobbyistes représentants des fabricants de chips, les barres Mars et Pizza Hut, ainsi que de la part d’une entreprise de soin privée qui bénéficierait des réformes portées par le ministre. Vu le succès de la vidéo en ligne, « Andrew Langsley Rap » risque bien de devenir l’hymne du mouvement social.

Illustration CC FlickR xpgomes5 et Thomas Seymat

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Les jeunes Grecs entre compromission et anarchisme http://owni.fr/2010/12/17/jeunes-grecs-entre-compromission-et-anarchisme/ http://owni.fr/2010/12/17/jeunes-grecs-entre-compromission-et-anarchisme/#comments Fri, 17 Dec 2010 16:09:37 +0000 audreyminart http://owni.fr/?p=39585

Peut-on appeler ça des émeutes quand les jeunes qui manifestent rencontrent de telles difficultés sur le marché du travail ?

Le trésorier du syndicat des employés de la Banque nationale de Grèce lâche son constat avec un sourire gêné : la veille, la capitale était une nouvelle fois submergée par la révolte des jeunes Athéniens face aux mesures de rigueurs. Les images de l’agression de l’ex-ministre conservateur Costis Hadzidakis ont fait le tour du monde par petits écrans interposés. « Il s’agit plutôt d’actes désespérés… » Une réaction compréhensible de la part d’un syndicaliste… mais surprenante pour l’adhérent du parti conservateur qu’il est. Malgré la violence des dernières journées, une partie grandissante de l’opinion se range aux côtés des jeunes, victimes d’une autre forme de violence : celle du plan d’austérité qui les a frappé de plein fouet.

Obligé de plier face aux exigences des organisations internationales pour obtenir les 110 milliards d’euros d’aide, le Parlement grec a entériné mardi 14 décembre une vague de réformes d’une rigueur historique. Face à des employeurs désormais libérés de toute contrainte pour baisser les salaires et contourner les accords de branche, les Grecs ne peuvent plus compter que sur l’équivalent local du Smic (740€ brut soit 592 euros nets) et composer avec la hausse de la TVA, passée en deux ans de 6,5% à 13%. Sous le doux nom de Memorandum, ce « pacte » réserve aux moins de 24 ans une clause d’austérité supplémentaire sous la forme d’un salaire minimum à 540 bruts, soit environ 450 euros nets.

« Génération 500 euros »

« C’est un désastre », lâche dans un soupire, Natalia, 30 ans, diplômée en droit.

Nous sommes déjà épuisés, et il n’est même pas sûr que toutes ces réformes sauvent vraiment la Grèce de la faillite. Enormément de magasins ferment à cause des augmentations de taxes et du chômage… Mais si aucune activité ne subsiste, qu’allons-nous devenir ?

Après ses études et quelques stages gratifiés à hauteur de 500 euros dans des cabinets d’avocats, elle a fini par changer de voie pour se tourner vers la traduction et son lot de contrats précaires. « J’ai travaillé quelques temps avec Lunea, puis ils ont fait faillite à cause de la crise. Et là je travaille pour d’autres entreprises, mais je n’ai pas été payée depuis juillet… » Les meilleurs mois, elle plafonne à 400 euros, pas de quoi payer un loyer. Condamnée à rester dans la maison familiale, sa tentative de donner des cours à l’université est restée infructueuse : faute de budget, elle est passée de dix-neuf heures l’année dernière à seulement six pour celle-ci.

Derrière les 30% de chômage chez les 15-24 ans (contre 12,6% pour le total de la population active en Grèce en septembre dernier) se bouclent les temps partiels, emplois très précaires et autres formes d’intérim… Sans compter ceux qui sont recalés par une petite subtilité statistique : au delà de six mois d’inactivité, les actifs disparaissent purement et simplement des listes. Situation courante en Grèce dans les temps de crise. Et aucune formation n’y échappe, pas même les plus nobles. « Mes deux filles ont fait des études de médecine. Mon aînée travaillait depuis un an dans un hôpital, mais à cause des réduction de personnel, elle a été licenciée. », désespère Piter, chauffeur de taxi de 60 ans, qui doit désormais subvenir aux besoins de sa femme, qui ne travaille pas, et de ses feux filles… âgées de 35 et 37 ans.

Se rapprocher du parti majoritaire pour échapper à la rigueur…

Poussée dans ses derniers retranchements, Natalia pense user d’une facilité dont elle aurait préféré se passer : « Il me reste peut-être une solution : faire de la traduction de documents politiques. »

Paradoxe de la crise : se rapprocher du parti au pouvoir responsable de la politique de rigueur est devenu « le meilleur moyen de trouver un emploi », si l’on en croît la sociologue Andromaque Hadjighianni, du Centre National de Recherches en Sciences Sociales d’Athènes.

« Vous avez rencontré un membre du Pasok [le Parti Socialiste majoritaire, NdR] ? Surtout ne le croyez pas ! Ils mentent tous », prévient Diamond, 24 ans, sympathisant communiste, « esprit libre » selon ses termes. C’est avec un dégoût non dissimulé qu’il explique que sa sœur, après des études de journalisme, a fini par rejoindre le Pasok à 22 ans, parce qu’elle ne trouvait pas d’emploi. « Il est de plus en plus fréquent que les étudiants se rapprochent des partis politiques dès l’université, non pas par adhésion idéologique, mais bien pour trouver un emploi », confirme une jeune étudiante militante, préférant garder l’anonymat, qui manifestait mercredi.

Phénomène clientéliste (« je te donne du travail, tu me donnes ton vote ») que confirment en coeur sociologues et syndicalistes : « c’est un secret de polichinelle. » Même si les jeunes dénoncent d’une seule voix ces pratiques, ils sont de plus en plus nombreux à ne pas envisager leur avenir autrement que par ces compromissions…

L’anarchisme plutôt que la compromission

Dans les urnes, c’est la révolte qui prime avec une absentéisme massive des jeunes, en partie responsable de l’explosion de l’extrême droite lors des élections … d’octobre. Pour d’autres, le désintérêt politique atteint le refus pur et simple de la démocratie grecque sous la forme de l’engagement anarchiste.

« C’est important à saisir : les jeunes, quand ils sont de « gauche » en Grèce, sont anarchistes, explique Julie, Franco-Grecque, et familière du milieu. Donc un jeune anarchiste grec, ce n’est pas comme un jeune anarchiste français : c’est juste un type normal, comme on en rencontre des tas. » Un “type normal”, aussi bien capable de lancer des projectiles sur une police qu’il hait profondément ou de détruire un parking pour y planter les arbres d’un “parc auto-géré”, que de donner des cours de grec aux immigrants, d’organiser des évènements culturels ou encore de discuter calmement politique pendant des heures au café du coin.

Les émeutes qui ont eu lieu lors de la manifestation de mercredi, malgré leur violence, n’ont pourtant pas été parmi les plus dévastatrices. Il y a deux ans déjà, toute la Grèce avait été frappée par les émeutes après la mort du jeune lycéen Alexis Grigoropoulos, tué par un policier, événement devenu véritable emblème pour le mouvement anarchiste. « La crise et le chômage peuvent expliquer que certains choisissent l’activisme dur, avance Konstantinos Kanelopoulos, chercheur spécialisé dans les mouvements contestataires. Si les manifestations violentes sont nombreuses depuis 2002, elles n’ont jamais autant concerné de monde, et de jeunes. Si radicalisme et violence augmentent, je pense que cela se doit essentiellement à la répression d’un gouvernement corrompu et inefficace ». Une vraie et générale révolte de la jeunesse grecque serait-elle envisageable ? La seule réponse qui semble timidement, mais naturellement, venir à la bouche, autant des chercheurs en sciences sociales que des syndicalistes, mais aussi des jeunes, engagés ou non, est « probable ».

Jusqu’à faire douter, parfois, qu’ils n’espèrent pas au fond que les jeunes passent à l’action à leur place.

Photos : Audrey Minart.

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Pour 2030, Standard & Poor’s envisage un monde de dettes insolvables http://owni.fr/2010/10/17/pour-2030-standard-poors-envisage-un-monde-de-dettes-insolvables/ http://owni.fr/2010/10/17/pour-2030-standard-poors-envisage-un-monde-de-dettes-insolvables/#comments Sun, 17 Oct 2010 17:16:04 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=31911 « Nous vivons à crédit », répète le gouvernement Fillon pour faire passer la réforme des retraites. Or, il oublie systématiquement deux précisions importantes : le taux n’arrête pas de changer… et ce n’est pas nous qui le fixons ! Loin de l’Elysée et des sièges du Cac40, trois agences dictent, elles aussi, leurs exigences au marché du travail, attribuant des « notes » plus ou moins bonnes aux Etats ou aux entreprises. Selon qu’ils s’organisent ou non pour rembourser leurs dettes, ils reçoivent des séries de lettres de AAA (très sûr et solvable) à BBB ou moins. Cette dernière catégorie étant appelée « speculative grades » (notes spéculatives), pour indiquer à ceux qui voudraient miser sur ces dettes qu’ils risquent de ne pas revoir leur argent. Car, c’est là leur principal travail : ces agences orientent les investissements sur dettes.

Or, à l’occasion d’un rapport sur le vieillissement de la population mondiale mis en lumière par le blog Alphaville du Financial Times, Standard & Poor’s a avancé une hypothèse de travail : et si, à terme, plus aucun Etat n’obtenait la note « AAA ». Autrement dit : et si tous les Etats du monde devenaient insolvables au yeux du système financier international? Le plus intéressant n’est pas de voir que les agences de notation envisagent l’effondrement des notes des Etats sous dix ans mais plutôt de pointer les critères :

Selon notre premier scénario, supposant qu’aucun choix de politique publique ne soit fait pour contrer la pression fiscale induite par la démographie, le glissement général des notes souveraines est prévu en 2020, s’accélérant en 2030 et par la suite.

Dès le titre du rapport en question, la posture est claire  : « vieillissement mondial 2010 : une vérité irréversible ». « Le service notation de Standard & Poor’s juge que le coût de prise en charge de cette population [les plus de 65 ans] influera profondément sur les perspectives de croissance et dominera le débat mondial sur les politiques en matière de finances publiques », renchérit l’introduction.

En 2050, deux Etats solvables : la Norvège et l’Arabie Saoudite

Les auteurs du rapport n’y vont pas par quatre chemins : jugeant le vieillissement de la population « insoutenable en l’état des politiques publiques », ils invitent ouvertement les gouvernements à réformer leurs systèmes sous peine de voir leurs notes dégradées. Petite lueur d’espoir : à l’horizon 2050, S&P envisage tout de même que deux pays continueront d’être solvables. En l’occurrence : la Norvège et l’Arabie Saoudite.

Pourcentage de la dette publique par rapport au PIB.

Comme le décryptaient déjà très justement nos collègues de Fakir, les agences de notation s’octroient désormais un rôle de juge sur les politiques publiques : les Etats qui feraient preuve de trop de prodigalité sociale sont menacés de « dégradation ». Une logique perverse puisqu’elle encourage la réduction de prestations sociales parfois vitales à la consommation et d’investissements publics essentiels à certaines entreprises, pouvant mener à une baisse de la production et donc des rentrées fiscales… faisant croitre la dette des Etats ! Paradoxe absolu : en empruntant massivement pour renflouer les banques, les Etats sont devenus ultradépendants des agences de notation, dont le manque de prévoyance avait causé la crise financière !

Attali : ambassadeur de la panique des dettes souveraines

La question est cependant prise très au sérieux par certains conseillers en vue : en présentant son nouveau « rapport », Jacques Attali ne porte ni un autre message, ni d’autres méthodes. Seul objectif affiché : passer sous les 3% de déficit public, quoiqu’il en coûte.

Gèle du point d’indice des fonctionnaires ;
Participation financière des malades en affections de longue durée (cancers, diabète…) ;
Déremboursement de médicaments ;
Extension du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux aux services de la sécurité sociale et des collectivités locales ;

D’autres mesures visent à rogner certaines niches fiscales pour un rééquilibrage de l’effort, mais la majeure partie des mesures d’austérité s’applique à des millions de Français (TVA, fonctionnaires, malades, etc.). Face à un Etat dont il juge qu’il « frôle la faillite », Attali reprend (comme à son habitude) les principes de son précédent livre au titre presqu’aussi équivoque qu’un rapport de Standard & Poor’s : « Tous ruinés dans dix ans ? »

Que ce nouveau rapport ait ou non un écho, son sujet risque d’occuper une bonne partie de la campagne présidentielle à venir. L’argument sera envoyé comme un Scud sur les lignes de gauche par l’UMP, comme il l’est déjà à l’Assemblée nationale sur le débat portant sur les retraites : comment financer une politique d’Etat providence avec la dette accumulée pour sauver le système bancaire ? Raison de plus pour considérer la question de la dépense publique face à l’augmentation de la dette comme l’un des premiers enjeux de la critique du sarkozysme après la crise.

Illustration : CC Wikicommons Baronett et FlickR CC stuartpilbrow.

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