OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La programmation, l’avenir du journalisme ? http://owni.fr/2010/07/30/la-programmation-lavenir-du-journalisme/ http://owni.fr/2010/07/30/la-programmation-lavenir-du-journalisme/#comments Fri, 30 Jul 2010 10:54:52 +0000 Marc Mentré http://owni.fr/?p=23311 Demain faudra-t-il être journaliste ET programmeur/développeur ? La question se pose désormais de manière récurrente, en raison de l’évolution du journalisme qui devient de plus en plus technique, et aussi de la montée en puissance (?) du datajournalism. Celui-ci exige de solides connaissances informatiques pour exploiter les montagnes de données qui s’accumulent partout, et plus largement par l’évolution du journalisme qui devient de plus en plus technique. Déjà, des écoles de journalisme comme la Columbia University de New York propose un double cursus, tandis que d’autres comme la Medill School propose de former des développeurs au journalisme.

Dan Nguyen, journaliste à ProPublic

Dan Nguyen (D.R.)

Dan Nguyen est peu connu. Pourtant, à sa manière, c’est un pionnier et son profil de journalistique est atypique. Lorsqu’il rejoint les rangs de ProPublica [lire ici, la vision de Paul Steiger, son fondateur], en septembre  2008, comme « web producteur » [web producer] il a déjà un solide double expérience de reporter et de développeur au Sacramento Bee. Il y  a travaillé en particulier à concevoir et développer une carte interactive des crimes commis dans la région de Sacramento.

En fait, Dan Nguyen est un datajournalist, au sens plein du terme [ici son Twitter] . C’est-à-dire qu’il est non seulement capable d’extraire des données pour que cela face sens [le travail du journaliste], mais aussi de construire l’application qui permet de réactualiser ces données.

Le problème pour les journalistes s’ils veulent exploiter des chiffres [en admettant qu'ils aient les connaissances mathématiques et statistiques pour cela] est qu’ils se trouvent souvent confrontés à des tableaux difficilement exploitables comme l’explique Michelle Minkoff du Poynter Institute :

Il ne suffit pas de copier ces chiffres dans votre article ; ce qui distingue un journaliste d’un simple consommateur est sa capacité à analyser les données et à en extraire les grandes tendances. Pour que les données soient plus accessibles, puissent être réorganisées et extraites, elles doivent être placées dans une feuille de calcul d’un tableur ou dans une base de données. Ce mécanisme s’appelle le web scraping [littéralement : grattage de données]. Il est, depuis des années, une partie de l’informatique et des sciences de l’information. Souvent, il faut beaucoup de temps et d’efforts pour produire des programmes qui extraient cette information. C’est donc une spécialité.

C’est ce que sait faire Dan Nguyen. Pour ProPublica, il a travaillé en particulier sur Changetracker, un outil qui surveille en permanence le site de la Maison Blanche, et signale les moindres changements. Il propose aussi sur son blog une série de « cours » [Coding for journalists 101] pour les journalistes peu habitués à la programmation, qui offre les « bases » et deux cas pratiques d’application.

Le journalisme interactif consiste à savoir combiner le sens de l’information et des compétences en informatique

Brian Boyer, journaliste à ProPublica

(D.R.)

En 2009, ProPublica a engagé un autre journaliste, Brian Boyer, au profil tout aussi pointu que Dan Nguyen. Ce journaliste a été recruté à la sortie d’une formation spécialement créée par l’École de journalisme de Medill à la Northwestern University, à destination des développeurs et programmeurs. La petite dizaine d’étudiants qui suit cette formation de journalisme, qui dure une année, travaille notamment sur un « projet innovant », avec le soutien —et pour— des groupes de médias.

Lors de sa scolarité Brian Boyer avait travaillé sur News Mixer, un système de gestion de commentaires développé [lire ici, le blog des étudiants] pour —et donc avec le soutien— de la Gazette de Cedar Rapids dans l’Iowa [lire ici, le post que la journaliste Annette Schulte, de la Gazette, consacre à cette expérience et ici, ce qu'en dit Brian Boyer]. Ce sera la clé de son recrutement explique Laura Oliver sur Journalism.co.uk. Elle cite Scott Klein, le directeur du développement online de ProPublica, qui explique :

Le journalisme interactif tel que nous le pratiquons dans The Missing Memo ou notre TARP coverage [il s'agit de savoir qui a bénéficié des fonds mis en place à l'occasion du plan de sauvetage du système financier _bailout_ d'Obama], exige de savoir combiner l’aptitude à choisir les informations et des compétences en programmation.

C’est ici que se pose la question de la formation. La Medill School a fait le choix de former des programmeurs/développeurs au journalisme. Ceux-ci « walk a mile in the journalists’ shoes » selon la belle expression de Rich Gordon, le directeur des formations numériques. Dans une interview à Journalism.co.uk, il explique que tous les journalistes devraient avoir, a minima, une bonne connaissance de la technologie :

Le savoir-faire technologique, ou au moins un minimum de connaissances en technologie est le minimum nécessaire aujourd’hui pour être embauché comme journaliste. (.…) Cela ne signifie pas que tous les journalistes doivent être des programmeurs. Les reporters doivent rester des « collecteurs de faits » (en utilisant les méthodes traditionnelles tout comme les outils de recherche en ligne), et aujourd’hui, ils doivent être capables de présenter leurs stories sous de multiples formes. Le problème, quelle que soit la manière dont vous le présentez est qu’il y aura moins de journalistes dans le futur. En même temps de nombreux nouveaux types d’emploi seront inventés comme notre journaliste-développeur.

Ces nouveaux types d’emplois, Mediashift en a listé une petite dizaine : cela va de « développeur pour CMS » à « journaliste hacker » en passant par « data-miner ».

D’autres écoles, comme celle de la Columbia University, ont choisi une autre approche, qui consiste à enseigner de front le journalisme et l’informatique. Le programme de ce Dual Degree, où le contenu d’une formation enrichira le contenu de l’autre, est terriblement alléchant.

Il est enfin une autre approche qui consiste à apprendre aux journalistes les subtilités du développement et de la programmation. C’est dans cet esprit que le Scott Trust, propriétaire du Guardian a lancé une bourse destinée à financer des [deux seulement pour le moment] personnes souhaitant se perfectionner en développement.

[MAJ du 22 juillet 2010] Enfin, il existe aussi des formations « sur le tas », comme celle racontée par Conrad Quilty-Harper, qui travaille aujourd’hui sur le site du Daily Telegraph, comme data juggler [littéralement "jongleur de données"]. Il a travaillé sur une base de données interactive des hommes politiques, mais aujourd’hui il a trois priorités :

  • travailler avec des reporters pour ajouter des éléments visuels à des contenus basés sur des chiffres
  • couvrir le secteur des open data en tant que reporter
  • créer des contenus originaux basés sur des contenus FOI [c'est-à-dire libre d'accès au sens de Freedom Of Information Act] ainsi que sur d’autres sources.

Pour autant, il faut se demander si tous les journalistes ont besoin de maîtriser parfaitement la programmation, le développement et les subtilités du code ? Il existe d’autres possibilités comme le rapprochement entre journalistes et développeurs que proposent par exemple des associations comme Hack/Hackers [lire l'interview de son fondateur Burt Herman sur OWNI]. Une réflexion engagée en France aussi au Monde.fr, comme le raconte Alain Joannes sur blog Journalistiques.

En tout cas, et en guise de clin d’œil final, pour les journalistes « non informaticiens » qui se demandent s’ils doivent s’engager dans cette voie, je propose ce petit test initialement publié par 10,000 Words, et que j’ai traduit. Il suffit de suivre les flèches [et de cliquer sur la carte pour l'obtenir en grand format].

journaliste-programmeur

Graphique original sur 10.000 words.net

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À lire aussi : Journaliste-programmeur, le mutant parfait ? ; Hacks/Hackers : quand le journalisme rencontre la technologie

The journalist programmer, le blog de Paul Quérido

Image CC Flickr Alberto+Cerriteño

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Data journalism : pourquoi les médias français ne s’y mettent pas ? http://owni.fr/2010/03/08/data-journalism-pourquoi-les-medias-francais-ne-s%e2%80%99y-mettent-pas/ http://owni.fr/2010/03/08/data-journalism-pourquoi-les-medias-francais-ne-s%e2%80%99y-mettent-pas/#comments Mon, 08 Mar 2010 10:39:24 +0000 Caroline Goulard http://owni.fr/?p=9630

Pourquoi les médias français se sont-ils si peu saisis du data journalism, à la différence des médias anglo-saxons ? Quelques éléments de réponses ont déjà été apportés : par Valérie Peugeot sur www.lavoixdudodo.info et par Elodie Castelli sur www.journalismes.info. Après les études de cas, je vous livre ici ma synthèse. L’occasion de vous faire partager les enseignements tirés de cinq entretiens, réalisés en janvier dernier avec Hubert Guillaud, Jean-Marc Manach et Charles Népote de la Fing, avec Fabrice Epelboin de RWW France et avec Nicolas Voisin de Owni.fr.

Comment expliquer le peu d’empressement des rédactions françaises à s’emparer du journalisme de données ? Plusieurs facteurs se combinent, certains relèvent des rédactions, d’autres de leur environnement

Côté rédactions :

Des rédactions en manque de moyens financiers…

Tout d’abord, côté rédactions traditionnelles, la plupart consacrent très peu de ressources à la R&D, et donc à du journalisme d’expérimentation, comme de la visualisation de données. La presse quotidienne n’en a tout simplement pas les moyens, les pure players difficilement. La presse magazine ou le secteur audiovisuel pourraient peut-être parier sur le journalisme de données, mais la crise économique ne les incite pas à de tels investissements.

Quelques exceptions néanmoins : l’Express.fr a recruté deux documentalistes pour réfléchir sur la structuration de données (plus d’info sur le blog d’Eric Mettout) ; France 24 mène un gros travail autour du Web sémantique au sein de son Lab (plus d’info sur le blog de Mikiane)

… en manque de moyens humains

Les rédactions ne sont pas seulement appauvries sur le plan financier, elles manquent aussi de ressources humaines. Car le data journalism nécessite du temps et des compétences : en datamining, en statistiques, en développement, en web-design, en interaction design, en sémiologie visuelle…

Actuellement, personne en France n’a réussi à réunir le bon mix de compétences. Pourtant, c’est sans doute ce qui fait le succès des visualisations du nytimes.com depuis deux ans : le titre fait travailler ensemble des ingénieurs, des infographistes et des journalistes, tous payés le même salaire et sur un même pied d’égalité. Rien à voir avec l’état d’esprit des rédactions françaises, dans lesquelles les « informaticiens » sont déconsidérés.

Ce cloisonnement des rédactions est sans doute un peu moins prégnant lorsqu’on s’intéresse aux rédactions web, mais il n’en reste pas moins un frein au développement du data journalism en France.

… en manque de culture web

Tout simplement, les rédactions traditionnelles n’ont souvent pas l’intuition du data journalism. La plupart du temps, elles ont un train de retard par rapport aux développements du web. Les écoles de journalisme commencent juste à intégrer le journalisme d’innovation et le web dans leurs enseignements. Pour beaucoup des acteurs de ce secteur, cela reste encore un truc de « geek ».

… en manque d’approche statistique

Ce manque d’intuition n’est pas sans rapport avec une culture journalistique très française. Une certaine hagiographie du journalisme made in France prend racine dans l’opposition « facts vs fiction » : opposition entre le journalisme de faits à l’anglo-saxonne et le journalisme littéraire et d’opinion du pays d’Albert Londres. La mythologie journalistique française sacralise la belle plume et le subjectivisme. Sur ce terreau pousse la défiance de nombreux journalistes envers tout ce qui pourrait paraître trop rationaliste, trop technophile ou trop américain.

A ceci s’ajoute la faible culture mathématique, statistique et scientifique de bien des rédacteurs de presse généraliste.

Aversion à mettre les mains dans les données brutes, malaisance avec les valeurs chiffrées, crainte de voir les techniciens commander les rédactions : autant de sensations diffuses qui ne facilitent pas la reconnaissance du data journalism en France.

Pour trouver quelques affinités entre la visualisation de données et l’histoire française, il faut sortir du champ journalistique et se pencher sur celui de la sémiologie. En particulier, la sémiologie graphique, inventée en France par Jacques Bertin, aborde les problématiques de visualisation d’informations géographiques.

Des journalistes américains au service des communautés locales ?

Enfin, une dernière hypothèse pourrait expliquer l’affinité des médias anglosaxons avec le data journalism. Les journalistes américains se considèrent peut-être plus comme étant au service d’une communauté.

Aux États-Unis, les journalisme de données s’est beaucoup développé à l’échelon local avec du crimemapping et des services pratiques (les horaires d’ouvertures des magasins, par exemple). La référence en la matière reste EveryBlock d’Adrian Holovaty : un « agrégateur-visualiseur » de données micro-locales (critiques de restaurants, prix de l’immobilier, etc.).

Les données jouent un rôle important dans la valorisation des territoires. Le journalisme de données, au niveau hyperlocal, peut ainsi être utilisé par les rédactions pour générer de la proximité avec les communauté d’habitants pour lesquelles elles travaillent.

Côté environnement :

Une autre dimension doit être prise en compte : le journalisme de données ne dépend pas uniquement des journalistes, mais également des données à leur disposition.

Une culture de la transparence différente entre la France et les pays anglo-saxons

Et, là aussi, la France est à la traine par rapport aux Anglo-Saxons. Les États-Unis et la Grande Bretagne se sont illustrés par leurs mouvements d’ouverture des données : avec les sites gouvernementaux data.gov et data.gov.uk, mais aussi avec de puissants militants de la cause de l’opendata, la Sunlight Foundation aux États-Unis, et le datablog du Guardian en Grande Bretagne.

Ici encore, on pourrait invoquer un fossé culturel : la culture anglo-saxonne de la transparence dans la gestion publique n’a pas d’équivalent en France. La campagne « Give us back our crown jewels », portée par le Guardian en 2006, ne pourrait pas avoir d’écho sur nos terres républicaines. Pourtant elle a joué un rôle important dans la libération des données publiques en Grande Bretagne. Le Guardian a ainsi activement milité pour que les données collectées grâce à l’argent du contribuable britannique soient accessibles gratuitement, afin de stimuler l’innovation. Il a joué un rôle d’exemplarité en ouvrant ses propres bases de données (DataStore) et en organisant un concours d’applications basées sur ces données libérées. (Voir à ce sujet l’article de Jean Marc Manach « Les joyaux de la couronne n’appartiennent à personne »)

Pas de consensus sur la valeur économique de l’ouverture des données en France

Dans son plaidoyer pour l’ouverture des données, le Guardian insistait sur l’enjeu économique de l’ouverture des données publiques : une meilleure valorisation des données stratégiques, plus de services, plus d’opportunités commerciales, plus d’innovation, moins d’asymétrie informationnelle et donc des marchés plus efficients, et au final, un plus grand dynamisme économique.

En France, il n’y a pas de consensus sur la valeur économique des données publiques. Les entreprises dont l’activité repose sur la privatisation de données n’ont pas intérêt à leur ouverture. L’avantage économique de la libération des données ne s’est pas imposé face aux gains espérés de leur monétisation via la vente de licences. C’est ainsi, par exemple, que l’IGN continue à faire payer l’accès à une importante partie de ses bases de données. (voir ce précédent post pour plus d’info)

Les conditions juridiques de la réutilisation des bases de données

Sans aller jusqu’à dire que l’appareil juridique français est un frein à l’ouverture des données, il faut garder en tête certaines particularités de notre doit des bases de données.

Premier point : le droit d’auteur. Les données brutes ne sont pas, en elles-mêmes, soumises au droit d’auteur mais une base de données peut-être protégée par le droit d’auteur si elle découle d’un acte de création intellectuelle, c’est à dire si elle témoigne d’une originalité caractérisée. L’auteur de la base de données jouit alors d’un monopole d’exploitation de son œuvre (droits patrimoniaux) ainsi que de droits au respect de l’intégrité de son œuvre et au respect de sa paternité sur l’œuvre (droits moraux).

Deuxième point : le droit des producteurs de bases de données. Lorsque que la création d’une base de données nécessite un investissement financier, humain et matériel substantiel, le droit des producteurs reconnaît au créateur un droit de protection analogue à celui de l’auteur sur son œuvre. Cette disposition est destinée à protéger l’investissement des personnes qui prennent l’initiative et le risque économique de créer une base de données. Cette protection garantie au producteur de la base de données un monopole d’exploitation, il peut interdire toute extraction substantielle de données de sa base.

Pour plus de détails voir la très bonne synthèse de Didier Frochot sur les-infostratèges.com et l’étude de la jurisprudence par Bernard Lamon.

Troisième point : la CNIL et les dispositions relatives à la protection de la vie privée. Toute base de données impliquant des données nominatives et/ou personnelles doit faire l’objet d’une déclaration à la CNIL. La collecte et la conservation des données d’une telle base sont également soumises à conditions (voire le site de la CNIL pour plus d’info). De même, doit être soumis à la CNIL tout croisement de bases de données qui aboutirait à qualifier des données personnelles.

L’enjeu de la structuration des données

Enfin, l’ouverture des données repose avant tout sur un enjeu d’accessibilité. Certes, on trouve aujourd’hui de nombreuses données chiffrées sur des organismes publics ou privés. Mais bien souvent ces données sont perdues au milieu de fichiers pdf, éparpillées entre des masses de texte, scannées en format image… et lorsqu’il s’agit de croiser de bases de données, on se retrouve face à des formats disparates et peu malléables… bref, les données sont rarement structurées.

D’accord, la loi du 17 juillet 1978 reconnaît à tout citoyen français le droit d’obtenir communication des documents détenus par une administration.

D’accord, une autorité administrative dédiée, la CADA (commission d’accès aux documents administratifs), veille au bon respect de ce droit d’accès aux documents administratifs.

Mais rien n’oblige les administrations à communiquer leurs données sous format numérique, encore moins de façon structurée.

Sur ce sujet, l’expérience de Nicolas Kayser-Bril est édifiante (voir l’article « On l’a pas en format ordinateur »).

Billet initialement paru sur Database journalism

Illustration : http://www.sxc.hu/

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Journaliste-programmeur, le mutant parfait ? http://owni.fr/2010/02/23/journaliste-programmeur-le-mutant-parfait/ http://owni.fr/2010/02/23/journaliste-programmeur-le-mutant-parfait/#comments Tue, 23 Feb 2010 15:54:48 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=8852

Tremblez simples journalistes ! Une espèce hybride est en train d’apparaître sur un marché de l’emploi déjà sous tension. Son CV est une arme absolue terriblement séduisante. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais un article du blog américain Gawker, exemples à l’appui, et dont voici la traduction (si vous ne comprenez pas certains mots, c’est normal, vous ne vivez pas entouré de geeks ;-) ) Un point de vue qui n’est pas partagé en France.

Comme si le paysage de l’emploi dans le journalisme n’était déjà pas assez terrifiant, les journalistes feraient bien d’apprendre à coder. C’est encore une compétence du domaine des médias dont ils auront besoin pour rester en tête de la compétition. Et ne faites pas d’erreur : la concurrence fait des stocks de livres d’O'Reilly (ndlr : gros éditeur de livres d’informatique).

-En 2006, lorsque Adrian Holvaty, fondateur d’Everyblock.com, lui-même développeur, en appela à plus de programmeurs dans les rédactions américaines, il n’obtint pas beaucoup de retour. Mais quelques années et quelques faillites de journaux plus tard, les rédacteurs semblent prendre conscience des avantages d’apprendre à développer des applications web ou de bidouiller rapidement des scripts ensemble pour effectuer les tâches de collecte de données qui demandent beaucoup de travail. Parmi les rédacteurs pris dans cette tendance nerd :

-Nick Bilton, New York Times : il est peut-être blogueur en chef de Bits, le blog techno du Times, mais Bilton a aussi travaillé comme spécialiste des interfaces utilisateurs et bricoleur de matériel au laboratoire R&D du Times, aidant à développer le TimesReader (ndlr : une application permettant de lire une version rich-media du Times sur un ordinateur). Il sait aussi s’en sortir avec un compilateur C.

-Taylor Buley, Forbes : il vient juste d’accepter publiquement un nouveau travail de “rédacteur et développeur éditorial”, selon la newsletter de Gorkana. “Dans sa nouvelle fonction, il va écrire et des articles et du code.”

-Jennifer 8. Lee, ancienne du New York Times : comme reporter, Lee s’est fait un nom en tant que pionnière de l’art du “scoop conceptuel” (man dates et d’autres). Mais avant de débuter dans le journalisme professionnel, Lee étudiait les maths appliquées à Harvard. En avril dernier, elle a commencé à apprendre à coder, et depuis écrit occasionnellement des jets de Python (qui s’avère être l’un des languages-clés chez Google, où son petit ami Craig Silverstein est directeur de la technologie). Il y a des rumeurs disant qu’elle pourrait joindre ou fonder une sorte de start-up dans le journalisme web.

-Cody Brown, NYU Local : après avoir commencé un site universitaire d’information hyperlocal à la New York University et rédigé des méditations bien meilleures que la moyenne sur les nouveaux médias, ce diplômé en cinéma a commencé à travailler sur une start-up appelée Kommons. Et il a débuté la nouvelle année en apprenant le framework de développement Rails pour le langage de programmation Ruby, sans doute pour faire avancer Kommons.

-Elizabeth Spiers, romancière, consultante, a lancé Dealbreaker, et blogué pour Gawker : cette ancienne analyste de Wall Street a blogué il y a deux jours qu’elle est en train d’apprendre Python dans le cadre d’un effort concerté pour acquérir de nouvelles compétences. En suivant un cours du MIT sur Internet, pas moins. Aucune idée de l’application qu’elle va écrire mais nous sommes impatients de lire ses commentaires de code malicieux et sa documentation sans-merci.

Apprendre à programmer est encore un autre moyen pour les journalistes de devenir généralistes, plutôt comme Benjamin Franklin et ses compagnons polyvalents tachés d’encre, à la fois pamphlétaires, linotypistes, distributeurs et éditeurs de journaux, que comme Bob Woodward, Annie Leibovitz ou Mario Garcia, au profil de rédacteur hyper spécialisé. Un blogueur professionnel-type peut jongler avec des tâches requérant des connaissances fonctionnelles en HTML, Photoshop, enregistrement vidéo, montage, prise d’images, podcasting, et CSS, le tout pour accomplir des taches dont avaient l’habitude de s’occuper d’autres personnes, lorsqu’elles existaient : la production, le design, l’informatique, etc.
Sur cette voie, coder est la prochaine étape logique, bien qu’elle puisse n’être attirante que pour les journalistes les plus ambitieux et les plus attirés par la technique, le genre de personnes qui veulent lancer leur propres sites ou ajouter une fonctionnalité vraiment puissante et interactive à un site existant.
Il n’y a pas besoin d’aller chercher bien loin pour voir que la programmation peut naître naturellement de l’écriture. Prenez Gawker Stalker. Lancé par Spiers sur un coup de tête, c’est devenu une rubrique hebdomadaire, ensuite un rendez-vous plus fréquent, puis une section à part entière, et finalement, une carte interactive utilisant l’API Google. Avec un peu plus de code, elle est maintenant mise à jour directement par les usagers.

Comme l’a écrit Clay Shirky, les programmeurs à temps partiel peuvent compenser leur manque de compétence technique pure par leur connaissance du métier. Dans l’essai de 2004 Situated software, le professeur de la NYU raconte combien il avait été surpris de constater que le logiciel social de ses étudiants est devenu populaire en dépit de son manque de fini.

‘Je me suis dit que [le code] avait réussi pour un certain nombre de raisons vaguement déloyales: les utilisateurs connaissaient les programmeurs, la liste des noms avait été préremplie, les programmeurs ont pu se servir de la liste de diffusion interne pour lancer l’application.

Les designers sont issus du même groupe que les utilisateurs, et pouvaient donc considérer que leurs propres instincts étaient fiables ; les beta-testeurs pouvaient être recrutés en se promenant dans le hall : et cela les a empêchés de faire des plans sur la comète. Ce que je n’avais pas anticipé, ce sont les bénéfices de second ordre. Encore et encore, les groupes ont rencontré des problèmes qu’ils ont résolus en partie en tirant bénéfice de l’infrastructure sociale ou d’informations liées au contexte…’

Shirky poursuit en postulant que la programmation, comme pratique, va se démocratiser. En d’autres termes, les journalistes vont faire à la programmation ce que les plateformes de blog écrites par des programmeurs ont fait au journalisme : saturer l’industrie avec des amateurs non-rémunérés.

Gartner (ndlr : entreprise américaine de conseil et de recherche dans les domaines techniques) a récemment fait du bruit en disant qu’il y aurait 235.000 programmeurs de moins aux USA d’ici dix ans. C’est comme si on avait prédit dans les années 80 que le nombre de dactylos diminuerait aux USA d’ici 2004. Une telle prédiction serait juste dans un sens – les équipes de dactylos dans les bureaux ont disparu, et une bonne partie du travail de saisie de données a été délocalisée. Mais la saisie à proprement parler, les doigt frappant le clavier, n’a pas disparu, elle s’est répandue partout.

En conclusion, bien que la sous-traitance concentre toute l’attention, il y a également beaucoup d’internalisation en cours, de métier à part entière, la programmation devient une compétence plus largement mise en œuvre. Si par programmation nous entendons “personnes qui écrivent du code” plutôt que “personnes qui sont payées pour écrire du code”, le nombre de programmeurs va augmenter, beaucoup augmenter, d’ici 2015, même si beaucoup de ceux qui utilisent perl et JavaScript et Flash ne se considèrent pas comme des programmeurs.

Désolé les programmeurs professionnels : la désintermédiation est un fléau, n’est ce pas ? D’un autre côté, si la première vague qui attaque votre profession est un peloton de journalistes, et bien vous n’avez pas de soucis à vous faire pour le moment.

[Traduction effectuée avec l'aide de Julien Kirch]

gawker2

Faut-il donc que les malheureux qui ne connaissent “que” des bases de html potassent asap Knuth et Stroustrup ? Pas de panique, l’oiseau est rare et devrait le rester. “C’est une des lubies du moment, tranche Johan Hufnagel, rédacteur en chef du pure player Slate.fr. Mais je ne crois pas à une race à part qui irait chercher les contenus et les mettrait en scène. C’est très bien d’avoir des journalistes-programmeurs mais ce que l’on demande avant tout à un journaliste, c’est de ramener des informations.” Morgane Tual, que l’on ne peut soupçonner de partialité puisqu’elle possède cette double casquette qui l’a aidée à trouver du travail chez Youphil, renchérit : “À un moment, je me suis dit ‘aujourd’hui tu as un profil hors du commun, dépêche-toi de faire ton trou, des jeunes (Morgane a 26 ans, ndlr…) qui savent coder vont arriver.’ Mais en fait non, apprendre à programmer est quelque chose de rébarbatif, il n’y en a donc pas tant que cela.”
Pour vous faire une idée, Raphaël da Silva, étudiant en licence professionnelle “journalisme et médias numériques de Metz“, est seul de sa promo sur seize à s’y connaître dans le domaine, et pour cause, il a étudié l’informatique avant. La perspective de voir des journalistes piquer le travail des informaticiens laisse encore songeur, à l’écouter : “Il est plus difficile de passer du journalisme à l’informatique, que l’inverse, observe le jeune homme, la plupart de mes camarades ont fait des études littéraires avant.” Et tout programmeur honnête vous dira qu’il faut dix ans et un million de lignes de code pour bien maîtriser son métier, et à condition que vous ayez la tournure d’esprit qui convient. Bref, “faire les deux fonctions très bien, c’est très difficile. Tu te contentes d’un résultat moyen”, conclut Johan Hufnagel.

Après, il est évident que posséder la double-casquette présente des avantages. Déjà dans la façon de mettre en forme son information. “Cela m’ouvre des possibilités énormes, je publie comme je veux”, analyse Morgane Tual. Et tant pis si elle doit en passer par des nuits blanches pour rebidouiller un plug-in, la créativité et l’autonomie valent bien quelques arrachages de cheveux.

Tous soulignent aussi ce rôle de lien entre journalistes et informaticiens que ces mutants peuvent tenir. Les deux mondes sont en effet traditionnellement assez hermétiques, pour le plus grand malheur de l’info en ligne. “Il est important d’avoir des journalistes capables de comprendre les contraintes des techniciens. Il y a des demandes qui peuvent être réalisées en trois jours, d’autres en trois mois, explique Johan Hufnagel. ll faudrait des “SR web”, capable de trifouiller dans le code jusqu’à un certain niveau, pour éviter de solliciter l’informatique. L’inverse vaut d’ailleurs aussi, soit dit en passant : “On manque d’informaticiens qui s’intéressent aux contenus” déplore-t-il.

Si le double profil ne devrait donc pas devenir incontournable, il est aussi évident qu’une bonne louche de culture web supplémentaire ne ferait pas de mal à la profession, dès l’école ou en formation continue. Et pour ceux qui veulent aller plus loin, une spécialisation programmation.

Le journaliste portugais Paulo Querido a fait un commentaire de ce billet sur son blog The Journalist programmer

Image de une von_boot sur Flickr

Photo Stéfan sur Flickr

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