OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Information du futur: trouver la réalité dans le code http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/ http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/#comments Tue, 31 May 2011 10:04:28 +0000 Roland Legrand http://owni.fr/?p=65358 Notre site d’information www.tijd.be existe depuis 15 ans désormais. En mai 1996, disposer d’une connexion internet 128kbit relevait de l’exception. Aujourd’hui, bénéficier d’un débit de 100 mégabits paraît tout à fait normal (en Belgique du moins).

En 2026, la vitesse ne constituera plus un problème. L’accès aux réseaux, aux flux d’information et aux bases de données sera instantané, peu importe l’endroit où vous vous trouvez dans le monde. Les smartphones et les tablettes qui nous permettent aujourd’hui de rester connectés en permanence apparaîtront dans quinze ans aussi obsolètes et archaïques que les Remington de nos collègues ancestraux. Être connecté à Internet sera une commodité au même titre que l’air que nous respirons, et l’information nous parviendra de 36 nouvelles façons.

Des sociétés comme Apple, par exemple, commercialiseront des habits “intelligents” et certains éléments électroniques vous seront même implantés directement dans le corps.
Comme très souvent en matière de technologie, c’est l’armée qui est à l’origine de ces développements. Les pilotes d’avion disposent depuis longtemps déjà d’un environnement visuel “augmenté” (head-up displays – HUD), de toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de leur mission. L’intégration de ce même dispositif dans les voitures de luxe marquera le début de la transition de cette technologie vers un usage mainstream.

Les claviers seront remplacés par les commandes vocales, les gestes et le tactile. Les écrans deviendront des projections que vous pourrez manipuler en 2D ou en 3D. L’information sera de plus en plus contextuelle et viendra se superposer à la réalité, voire s’y intégrera, la transformant en réalité virtuelle dans laquelle nous jouerons à des jeux hybrides.

Le futur n’est bien sûr pas qu’une histoire de gadgets plus ou moins sophistiqués. La nature de cette information omniprésente va elle aussi muter, posant la question de l’organisation de ces flux.

La personnalisation de l’information

Les médias disposent tous, ou presque, de leur propre application via laquelle ils portent à la connaissance du public les contenus produits et sélectionnés par leur staff éditorial. Mais des applications comme Flipboard sont en train de changer la donne. Conçues en dehors du sérail médiatique traditionnel, ces applications transforment en un véritable magazine multimédia personnalisé le flux des articles, photos et vidéos recommandés par les individus de votre réseaux: vos “amis” et “followers”.

Certains articles viennent de The New York Times, d’autres du Wall Street Journal et de TechCrunch. Les algorithmes de ces services apprennent à vous connaître, à reconnaître les articles que vous lisez et enregistrent combien de votre précieux temps vous leur consacrez. Facebook n’affiche dans votre newsfeed que les statuts des personnes qui sont les plus importantes à vos yeux, en tout cas selon l’algorithme de Facebook. La personnalisation de l’information est d’ores et déjà une réalité, et ne va aller qu’en s’amplifiant.

Dans son livre The Filter Bubble, Eli Pariser explique comment Google calcule les résultats de vos recherches non seulement selon les termes de celles-ci mais aussi en fonction de l’ordinateur et du navigateur que vous utilisez, de l’endroit où vous vous trouvez dans le monde, etc. Ce qui veut dire qu’un individu effectuant la même recherche que vous, avec les mêmes mots-clés, recevra selon toute évidence des résultats différents des vôtres. Trouver quelque chose sur le web qui ne sera pas adapté et personnalisé à vos goûts relèvera de plus en plus de l’exception.

Le temps des mass-médias paternalistes qui vous suggéraient toujours les mêmes infos, qui que vous soyez, où des journalistes omniscients décidant seuls de ce qu’il était “bon et important” de savoir, est révolu.

Mais, comme le souligne également Eli Pariser dans son intervention à TED, le danger de cette persocialisation à outrance de l’information est de s’enfermer dans une bulle de confort, n’étant in fine confronté qu’à des infos que moi et mon réseau “aimons”, nous privant de l’accès à celles que nous devrions peut-être avoir.

Il y a des garde-fous humains. Et il y a les algorithmes. Nous en savons encore moins sur ces algorithmes que sur les éditeurs humains. Nous pouvons avoir une idée de la sélection éditoriale du New York Times, mais de nombreuses personnes ne sont même pas au courant que Google leur montre des résultats différents, qui reposent sur de prétendus critères personnels, de même qu’ils ne sont pas toujours conscients de la sélection des statuts opérée par Facebook.

Le code utilisé par les grandes compagnies pour filtrer ce que nous voyons a une importance politique. Si nous voulons conserver un Internet qui nous confronte à une diversité de points de vue et à des histoires, des faits, qui nous surprennent et nous éclairent, nous devons être conscients de ces débats autour des algorithmes et des filtres. Si nous n’y prêtons pas attention, nous serons programmés dans notre dos.

Au-delà de tous ces filtres, humains, réticulaires et algorithmiques, nous trouvons un flux d’informations toujours plus conséquent. Tweets, statuts mis à jour, billets d’experts sur des blogs; témoins et acteurs nous immergent, seconde après seconde.

Je suis sûr qu’en 2026, il y aura quelque chose que nous appellerons “journalisme”: des gens qui ont la passion de certains sujets, aimant sélectionner, vérifier et commenter, en apportant des éléments de contexte. La BBC a déjà un desk spécialisé qui analyse images et textes diffusés sur les réseaux sociaux: ils vérifient si une photo spécifique a bien pu être prise à l’endroit et au moment prétendus, pour ne donner qu’un exemple. Presque chaque jour, émergent de nouveaux outils de curation pour les journalistes et les blogueurs, qui facilitent l’utilisation des médias sociaux.

“La transparence est la nouvelle objectivité”

La curation de l’information est une activité à forte valeur ajoutée. Peu importe si ces “curateurs” se désignent comme journalistes , blogueurs, éditeurs de presse ou éditeurs en ligne: l’importance se place dans la qualité de la curation et dans le débat sans fin suscité par ces pratiques.

Quiconque a l’énergie et le temps de jeter un oeil aux flux d’informations brutes serait capable de voir la façon dont la curation ajoute, omet ou modifie les choses. Non seulement nous serions capables de l’apprécier, mais nous sommes également invités à améliorer ou à directement participer à certains projets de curation – comme Quora.

Blogueurs et journalistes qui déclarent clairement leur positionnement par rapport à l’actualité qu’ils couvrent, y compris quand ils promettent dans un même temps de représenter d’autres points de vue, seront considérés comme plus crédibles. Ceux qui seront ouverts sur leur pratique de la curation y gagneront un avantage. Comme le note Jeff Jarvis: “la transparence est la nouvelle objectivité”.

En mai 2026, les articles de fond d’un journal atteindront notre communauté de bien des façons. Je ne pense vraiment pas que le journal imprimé aura la même pertinence qu’aujourd’hui, et les gens souriront quand ils verront des captures d’écran des sites actuels. Mais il y aura toujours des informations et des discussions, des gens essayant de couvrir ce qui est essentiel dans le flot d’informations et tentant de trouver la réalité à travers les codes des algorithmes.

En préparant ce post, j’ai beaucoup appris en discutant sur Twitter, Facebook, LinkedIn, The Well, Quora… Dans un souci de transparence, j’ai annoncé ces préparations. Vous trouverez des liens vers les vidéos et articles originaux, ainsi que vers les choses finalement mises de côté pour ce billet, qui peuvent néanmoins être intéressantes pour d’autres explorations.


Article initialement publié sur Mixed realities, et dans le quotidien De Tijd sous le titre “Finding reality while looking through code”. Roland Legrand est News Manager chez Mediafin, qui édite notamment le quotidien économique De Tijd.

Traduction Damien Van Achter et Andréa Fradin.

Illustrations CC FlickR: NightRPStar, cdrummbks, Martenbjork

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Le transhumanisme n’a pas augmenté les bobines http://owni.fr/2011/05/22/le-transhumanisme-na-pas-encore-augmente-les-bobines/ http://owni.fr/2011/05/22/le-transhumanisme-na-pas-encore-augmente-les-bobines/#comments Sun, 22 May 2011 14:00:33 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=62438 Si l’on entend par cinéma transhumaniste les films véhiculant la pensée qui promet à l’homme une vie future augmentée par la technologie, « c’est de son absence qu’il faut parler », tranche Manuela de Barros, philosophe, théoricienne de l’art, spécialiste des rapports entre arts, sciences et technologies. Mécène de la Singularity University, haut lieu de ce mouvement fondé par Ray Kurzweil, Google a contribué à faire connaître ce mouvement. Et du coup, entraîner son lot de méprises. Il ne suffit pas qu’un film mette en scène des cyborgs pour classer ce film dans la catégorie transhumaniste.

« Le cyborg est un objet technique, lié à la science militaire, historique aussi puisqu’il est apparu dans les années 1960, à l’initiative de la Nasa qui souhaitait s’en servir pour coloniser d’autres planètes, précise Manuela de Barros. À ce titre-là, il est aussi idéologique. » Le cyborg, concrètement, est un humain sur lequel on a greffé des composants robotiques à des degrés divers. Sa figure-type, c’est le soldat ou le policier. RoboCop est donc un cyborg poussé à un degré extrême : après sa mort clinique, le policier Alex J. Murphy reçoit un corps artificiel. Seul son visage est de chair.

Le cyborg fait partie des figures du transhumanisme. Avec ce dernier, on se dirige vers la Silicon Valley, l’école de Palo Alto et toute la contre-culture Internet, en quête de l’immortalité. Robotique, nanotechnologies, génétique, drogues, tous les moyens sont bons en particulier les avancées de la sciences, pour améliorer l’homme, allonger son espérance de vie et in fine entrer dans la post-humanité, qui suit le point de rupture aussi appelé singularité. Une idéologie forcément élitiste vu les moyens que sa mise en œuvre requiert, mâtinée d’une bonne pointe d’eugénisme.

Un courant le plus souvent représenté par ses opposants

Ce point théorique fait, on comprend mieux le point de vue de Manuela de Barros : si des films traitent bien de la question, pour elle, aucun ne prône ouvertement sa mise en œuvre. « Les représentation sont souvent issues des anti », analyse Manuela de Barros. Pour elle, cette idéologie récente réservée pour l’heure à une élite, argent oblige, liée au capitalisme dans ce qu’il a de plus démesuré ne peut que susciter la défiance. Jusqu’à présent, les films qui l’ont abordée présentent donc une vision critique.

« On retrouve l’univers cyberpunk qui est dystopique : destruction des structures sociales, de l’environnement, explique-t-elle. C’est le cas de Blade Runner, le film de Ridley Scott adapté de la nouvelle de Philippe K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électrique ?. On pense à la ville de Neuromancien, un mélange de Tokyo et de New York. » Et même, peut-on parler de transhumain à propos des replicants qui sont la figure centrale de cette œuvre, parfaite reproduction, comme leur nom l’indique, des humains, conçus à partir de culture de chair et de peau ? « Il n’y a pas assez de différences, estime-t-elle. Et les humains les méprisent. » Et de fait, ces clones sont la troisième génération de machines-esclaves destinées à être utilisées sur les colonies spatiales pour accomplir des tâches dangereuses. « Les réplicants sont comme n’importe quelle autre machine – ils sont soit un bienfait, soit un risque. S’ils sont un bienfait, ils ne sont pas mon problème. », dit explicitement Rick Deckard, le héros chargé de les détruire après leur rébellion. On est loin d’un dépassement souhaité de l’humain.

Si Bienvenue à Gattaca (1997) met en scène un univers non point glauque mais parfaitement froid, c’est pour en dénoncer l’échec d’une humanité parfaite obtenue aux moyens de manipulations génétiques. Vincent, l’enfant « naturel », finira pas dépasser son frère Anton, issu de méthodes eugénistes.

Chefs d’œuvre de l’animé, Ghost in the Shell 1 et 2 « dépassent la question du transhumanisme : c’est une évidence dans le film. L’auteur refait l’histoire de la robotique depuis Descartes jusqu’à Donna Haraway, l’auteur du Manifeste cyborg, qui y est d’ailleurs un des personnages. Elle va même jusqu’à se débarrasser de son cerveau, elle devient une machine fluide, une pure conscience qui vit dans le réseau. » Ce qui pose la question de la mémoire, qui revient souvent lorsque l’on évoque l’homme augmenté, c’est elle qui confère l’humanité. Ce thème est ainsi présent dans ce dialogue entre le major et son collègue cyborg Batou, après une scène de plongée :

- Je croyais avoir tout vu dans ma vie mais alors un cyborg qui fait de la plongée, j’en reste le bec dans l’eau, je ne savais pas que ça te plaisait de faire des petites bulles avec des poissons. [...]<

- Quand je remonte en surface en état d’apesanteur, j’imagine que je deviens une autre, que je suis une autre, c’est sûrement l’effet de la décompression. [...]

- [...] Depuis que l’homme maîtrise la technologie, il a réalisé la plupart de ses désirs. Ce serait même presque instinctif chez lui. Nous par exemple, nous sommes le nec plus ultra du métabolisme contrôlée. Cerveau boosté, corps cybernétique, c’était tout récemment de la science-fiction, qu’importe si on ne peut pas survivre sans une maintenance régulière et complexe. On n’a pas à se plaindre, les mises au point sont le prix à payer pour tout ça.

- De toute façon, nous n’avons pas vendu nos ghosts à la section 9.

- C’est vrai. Mais si on décidait de démissionner, il faudrait restituer nos corps de cyborg. Et là il ne nous restera pas grand chose. Le corps et l’esprit sont constitués d’innombrables composants. Comme tous ceux qui ont fait de moi ce que je suis, c’est-à-dire un individu avec une personnalité propre, j’ai un visage et une voix qui me différencient des autres, mes pensées et mes souvenirs sont nés auprès de mes expériences, ils sont uniques et je porte au fond de moi mon propre destin. Et ce n’est encore qu’un détail parce que je perçois et utilise des informations par centaines de milliers et tous ces phénomènes, en se mélangeant, en s’associant, déterminent et construisent ma conscience. Et pourtant, je me sens confinée, limitée dans le cycle de mon évolution.

- Et c’est pour ça que tu plonges ? Mais qu’est-ce que tu peux bien voir au fond de l’eau en pleine obscurité ?

- Ce que nous voyons n’est qu’un pâle reflet dans un miroir. Bientôt, nous nous retrouverons face à face.

De ce point de vue, on peut voir les plongées du major comme une métaphore d’une plongée dans les souvenirs. De même, RoboCop est incapable de donner son nom avant de retrouver ses souvenirs en se rendant dans son ancienne maison, où le flic ordinaire qu’il était vivait avec sa femme et ses enfants. Et lorsqu’il répondra enfin « Murphy », ce sera dans un sourire rabelaisien, « pour ce que rire est le propre de l’homme ». Un RoboCop qui n’a rien à voir avec la jolie vision présentée par les pro-singularité, selon laquelle l’humanité prendra cette voie en chantant : le pauvre Murphy n’a pas demandé à être transformé.

De mémoire il est aussi beaucoup question dans Johnny Mnemonic (1994), comme son nom de famille du héros éponyme le suggère : il tire sa racine étymologique du grec ancien mnêmê, la mémoire (cf amnésie, etc.). Son scénario est encore une adaptation d’une nouvelle de Gibson. Le personnage est une mémoire sur pattes puisque son métier consiste à transporter des données.

De même, c’est aussi la chair qui fait l’homme. RoboCop apparait bien fragile quand il ôte son casque pour laisser apparaître son visage, simple ovale blafard qui le fait ressembler à un travesti trop poudré. Sous le capot, l’humanité. Et lorsque le sergent plonge, c’est aussi pour les sensations charnelles que cette activité lui procure : elles sont aussi une façon de se raccrocher à l’humain.

Le super-héros, trop altruiste pour en être

Certains traits du transhumanisme sont présents dans les superhéros mais leur buts humanistes l’en éloignent. Ainsi, Tony Stark, aka Ironman, est d’abord un génie milliardaire complètement égoïste. Il se dote bien volontairement de superpouvoirs en se greffant un cœur atomique mais ne sombrera pas dans l’hybris, préférant sauver la veuve et l’orphelin, comme ses autres camarades de comics. De même, les X-men sont des mutants altruistes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La présence de ces figures en partie artificielles s’accompagne aussi souvent de la question des droits que les humains « pure souche » leur accordent. Sont-ils inférieurs et doivent-ils donc être traités comme tels, abattus comme du bétail – ainsi dans Blade runner – dès lors qu’ils deviennent nuisibles, de par leurs revendications-mêmes ? On retrouve là des questions éthiques qui se posent de façon aiguë avec le clonage. Sur ce point, c’est du côté d’une série B, Moon, que Manuela de Barros nous conseille d’aller voir. Il met en scène un employé d’une station lunaire, persuadé d’être isolé sur le site, et qui découvre qu’il n’est qu’un clone à la durée de vie limitée, destiné à être remplacé par un de ses congénères stockés sur le satellite. « C’est une vision anthropocentrée, le personnage principal est seul sur la Lune, de façon symptomatique : quid des modifications que nous faisons aussi subir à l’environnement ? »

De même que le cyborg ne fait pas le transhumanisme, on notera que l’implant robotique ne fait pas le cyborg. L’exemple le plus connu est Dark Vador. Les films de la trilogie de la guerre des étoiles ont beau avoir ce tag, on n’y pense pas spontanément. Dark Vador est surtout vue comme une figure du mal absolu. Sa « cyborgisation » matérialise son passage du côté obscur, montrée de façon explicite à la fin de La revanche des Sith.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Finalement, les adeptes du transhumanisme devraient peut-être se tourner du côté des films de vampire, Frankenstein et autres golem,  nous suggère Manuela de Barros, pour voir exprimer leur vision au cinéma. À une différence près : foin de la technologie, c’est le surnaturel qui est à l’œuvre pour augmenter l’humain.

[maj 24 mai] : Marc signale en commentaire qu’« il existe au moins une œuvre cinématographique célèbre qui est considérée par beaucoup comme le premier film transhumaniste avant la lettre et c’est bien sûr 2001 l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick. Sans rentrer dans le détail de toutes les métaphores qu’utilise le film, rappelons qu’après avoir surmonté l’épreuve de la rébellion de l’Intelligence Artificielle HAL, l’humain poursuit son voyage vers un état de Conscience “supérieure” (scène finale) au-delà d’une expérience dont on dirait aujourd’hui qu’elle renvoie à une véritable Singularité (la séquence du puits de lumières). »

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Un nouvel appendice pour l’espèce humaine? http://owni.fr/2011/04/21/de-la-teratologie-a-lere-numerique/ http://owni.fr/2011/04/21/de-la-teratologie-a-lere-numerique/#comments Thu, 21 Apr 2011 10:20:09 +0000 Xavier de la Porte http://owni.fr/?p=57259 La lecture de la semaine, il s’agit d’un article mis en ligne le 18 mars dernier sur le site de l’hebdomadaire américain The Nation, il s’intitule : “My monster, My Self”; “Mon monstre, mon Moi”, et on le doit à Gary Greenberg, psychothérapeute. Le papier d’origine est très long, son cœur consiste en une critique des livres de Nicholas Carr, The Shallows, et William Powers Hamlet’s BlackBlerry. Critique intéressante, mais je n’ai gardé que le début et la fin de l’article, qui en concentre la thèse. Extraits.

“Un autre membre ou un truc dans le genre”

“Il y a trois ans environ, une famille a fait irruption dans mon cabinet, elle venait pour la première fois. Le père avait de bonnes joues, les cheveux bouclés et un air de chien battu ; la mère, qui était à l’initiative de la consultation, était parfaitement coiffée et maquillée. Leur fille, sujet de la visite, était une jolie jeune fille de quinze ans, mais elle avait l’air maussade, et avançait le dos voûté, comme si elle marchait dans une tempête. Quand ils sont entrés, je leur ai serré la main. La jeune fille, appelons-la Kate, me tendit sa main gauche. Ma réaction fut un regard vers sa main droite, je m’attendais à y voir un plâtre ou une attèle. S’y trouvait en fait un téléphone portable mauve et pailleté, du genre, nouveau à l’époque, de ceux dont le clavier se glisse sous l’écran comme un lit gigogne. Pendant les 50 premières minutes de la consultation, je n’ai vu de Kate que le sommet de son crâne, elle a gardé les yeux fixés sur l’écran et a tapoté sur son clavier sans prêter aucune attention à la discussion. A aucun moment elle ne s’est détachée du téléphone, ni le téléphone d’elle, même quand elle répondait, en vociférant parfois, aux plaintes que ses parents formulaient à son égard. De leur côté, les parents n’ont fait aucun commentaire sur l’occupation de leur fille.

Pendant la visite, je n’ai fait aucune mention ni du téléphone de Kate, ni de l’apparent aveuglement de ses parents quant au comportement de leur fille. Un thérapeute apprend à ne jamais remettre en question trop vite les normes d’une famille. [...] Mais lors de la visite suivante, avant qu’elle ne s’asseye, j’ai demandé à Kate de me donner son téléphone. Ses parents, déjà assis, se sont figés alors qu’elle levait les yeux vers moi. C’était, je m’en rendais compte alors, la première fois que je voyais ses yeux, et j’y ai lu un mélange de peur et de colère, qui n’était pas sans rappeler le raton laveur coincé dans le potager d’un jardinier enragé. “Pourquoi ?”, m’a-t-elle demandé. “Parce que j’ai vraiment du mal à me concentrer quand tu es distraite, lui ai-je dit. Je me demande tout le temps ce qui se passe sur ton téléphone, et je me dis que quoi qu’il s’y passe, ça doit être beaucoup plus intéressant que ce qui se dit dans ce cabinet.” “Ca c’est sûr” a-t-elle répondu. “Évidemment, ai-je repris. Rien ne peut égaler ce qui est sur ton téléphone. Mais il nous faut parfois prêter attention à des choses moins intéressantes.” J’ai tendu ma main, elle y a mis son téléphone. Il était moite. J’avais l’impression de sentir la marque de ses doigts sur les bords arrondis. “C’est presque comme si ton téléphone était une partie de toi”, ai-je ajouté en le posant sur mon bureau “comme un autre membre ou un truc dans le genre.”

De la variation du Moi

“Eh ben c’est le cas, mon gars”, a-t-elle dit en soutenant mon regard. Ce n’était pas la première fois qu’un enfant me renvoyait à l’état de fossile. [...] Mais le fossé qui me séparait de Kate n’était pas culturel ou politique. Il tenait au fait que nous nous faisions une idée différente de nous-mêmes. Mon commentaire, qui n’avait pas de cause particulière, ne lui avait rien appris qu’elle ne sache – à savoir qu’elle était fondamentalement différente de moi, et du reste des adultes avec lesquels elle devait partager la planète. Nous, nous ne n’avions que quatre membres. Elle en avait cinq, et avec cet appendice supplémentaire, elle pouvait s’extraire de son petit moi clos et rejoindre le vaste monde – en tout cas le monde qui pouvait prendre vie dans son écran. [...]

Le Moi change. Pas seulement au cours de nos petites vies, ce sur quoi, nous, les thérapeutes, essayons d’agir, mais il change au cours de l’histoire humaine. L’idée qu’on se fait de l’être humain, de ce que devons attendre de nous-mêmes, de ce qui fait qu’une vie est réussie, des moyens à employer pour la réussir – tout cela est transformé par le temps et les circonstances, d’une manière qu’on ne peut observer que rétrospectivement, et encore, à travers une vitre ternie par les préjugés de celui qui regarde derrière lui. Il est très dur de nous observer nous-mêmes dans une époque qui change, et de comprendre une transformation qui a lieu sous nos yeux, il est encore plus dur de déterminer si on peut agir sur cette transformation.

Je passe sur le long développement central pour arriver à la fin du texte.

L’homme, sorte de Dieu prothétique, sorte de monstre

En 1930, dans Malaise dans la civilisation, Freud écrivait : “L’homme est devenu une sorte de Dieu prothétique. Quand il se pare de tous ses organes auxiliaires, il est magnifique, mais ces organes ne se sont pas développés avec lui et ils lui causent grand souci. L’avenir apportera avec lui des avancées nouvelles et probablement inimaginables dans le domaine de la civilisation, et il accroitra la ressemblance de l’homme avec dieu. Mais dans l’intérêt de nos investigations, nous n’oublierons pas que l’homme d’aujourd’hui ne tire pas grand bonheur de cette ressemblance.”

La métaphore est instructive, reprend Greenberg. “Avec les technologies, suggère Freud, nous ne sommes pas seulement devenus magnifiques, nous sommes aussi devenus des monstres. Kate, avec son téléphone portable, ces piétons dans la ville qui ont les yeux fixés sur des écrans qui leur montrent des images et des mots venus d’ailleurs, ces jeunes et les adultes qui se demandent pour ami et s’envoient des tweets, ne sont-ils pas des dieux prothétiques, qui tiennent le monde entier dans leur main ? Ne sont-ils pas aussi des monstres ?”

“Il y a quelque chose de vraiment magnifique dans l’Internet” dit Greenberg, et il avoue l’utiliser sans cesse. “Le bureau qui me relie au web est ma prothèse, dit-il, de la manière que le téléphone de Kate est la sienne. Et cet organe auxiliaire, qui n’est qu’imparfaitement relié à moi, me cause aussi du souci. L’autre jour, je regardais un film dans lequel jouait Jeanne Moreau, raconte Greenberg, et je me demandais quel âge elle avait au moment du tournage. Avant même que je me formule la question à moi-même, je fis le geste de googler – sauf que mon ordinateur n’était pas là où il devait être. J’avais fait le même geste atroce que l’amputé qui veut attraper une cigarette avec sa main perdue. Je ne sais pas ce qui était pire – la présence-absence de mon appendice fantôme ou le fait qu’il me manque autant.”

Conclusion provisoire de Greenberg : nous sommes devenus méconnaissables à nous-mêmes, nous sommes devenus des monstres.

Le problème dit Greenberg, c’est qu’il est compliqué de faire une critique profonde de la technologie sans devenir un peu réactionnaire, qu’il est impossible de tuer le monstre numérique, sans recourir à des fourches et à des torches. Et puis, ajoute-t-il, “le dégoût est la source de la bigoterie, il voue aux gémonies ce qui est nouveau et différent, il nous amène à oublier ce qu’il y a de sublime dans le monstre.”

Les “Moi(s)” du futur auront peut-être des Bluetooth implantés, des pouces pointus et, qui sait, des yeux sur le sommet du crâne. Ce qui est une prothèse pour nous aura grandi sur eux, mais ils auront de nouvelles coutures auxquelles il faudra se confronter. Et ces futurs auront aussi leurs propres mécontentements, leurs propres monstres et leurs propres passés à remâcher.


Chronique initialement diffusée dans Place de la Toile sur France Culture et publiée sur InternetActu sous le titre “Le “monstre magnifique” de la technologie fait-il changer “le Moi” ?”

Les principales citations de cet article ont été initialement publiées sous copyright dans un article de The Nation, signé Gary Greenberg.

Illustrations CC : Marion Kotlarski, Jean-Pierre Lavoie, Van Den Berge



Retrouvez tous les articles de notre dossier “monstres” sur OWNI.
- “Le corps jugé monstrueux n’a pas d’humanité”
- Freaks: espèce de salles obscures

Image de Une par Loguy

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http://owni.fr/2011/04/21/de-la-teratologie-a-lere-numerique/feed/ 12
[entretien] Google, “une des plus grandes puissances géopolitiques du monde” http://owni.fr/2011/03/20/google-democratie-entretien-google-une-des-plus-grandes-puissances-geopolitiques-du-monde/ http://owni.fr/2011/03/20/google-democratie-entretien-google-une-des-plus-grandes-puissances-geopolitiques-du-monde/#comments Sun, 20 Mar 2011 20:06:38 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=52403 A la lecture de la présentation hallucinée faite par JC Féraud de Google Démocratie, on a voulu aller plus loin. Et quoi de mieux qu’une rencontre avec les auteurs pour prolonger le plaisir de la lecture de ce “techno-thriller” et approfondir certaines des questions évoquées dans l’ouvrage. Rencontre avec Laurent Alexandre,  généticien, énarque et fondateur de Doctissimo et David Angevin, journaliste et écrivain, auteur notamment de Dans la peau de Nicolas.

Du fait que Sergey Brin (renommé Brain dans le livre) soit porteur du gène de la maladie de Parkinson aux fulgurants développements des technologies NBIC (nano-bio-info-cogno), entretien à bâtons rompus.

On n’a pas l’habitude d’un roman écrit à quatre mains. Comment vous êtes-vous rencontrés?

David Angevin: On s’est rencontré il y a trois ans. On est devenu copains, Laurent avait lu mes livres, je connaissais Doctissimo. En discutant, on s’est dit que c’était…

Laurent Alexandre: … rigolo de faire un truc entre transhumanité, intelligence artificielle (IA) et puis génétique. De faire la NBIC, la totale, en un seul roman. Et de faire le lien entre la passion des gens de Google pour l’intelligence artificielle et le fait que Serguey Brin va faire un Parkinson; il a le gène LRRK2 muté, comme annoncé sur son blog en 2008.

David Angevin: Ca a d’ailleurs fait la couverture de Wired

Laurent Alexandre: Il s’est fait fait tester par la filiale de Google qui fait de la génétique qui est 23andMe, et qui est dirigée par sa femme.

Il y a un vrai pont entre la génomique et Google, ce n’est pas un hasard. Il y a le pont par la maladie et par la diversification sur le plan économique avec la création de 23andMe. 23, parce qu’on a 23 paires de  chromosomes. Et moi. Confier son ADN à Google laisse présager de choses assez sympathiques.

D’où vient l’acronyme NBIC?

Laurent Alexandre: Nano-Bio-Info-Cogno, ce n’est pas de nous. C’est vraiment un terme utilisé dans le cercle des gens qui bossent sur ces questions. En plus, c’est un acronyme facile à retenir. Les gens ont un peu de mal sur la cogno [les sciences cognitives] parce qu’en fait la cognitique, c’est à dire les sciences du cerveau et de l’IA, c’est un truc que les gens connaissent en fait très peu: au mieux les gens connaissent l’informatique bien sûr, et les nanos, qu’on commence à connaître. On a fait ce pont là. Et on s’est intéressés à l’émergence des groupes transhumanistes aux Etats-Unis: Kurzweil, ses opposants, les réactionnaires comme Kass.

David Angevin: On s’est échangé des milliers d’e-mails, d’articles… Tous les matins j’ouvrais ma boîte mail et Laurent m’avait envoyé cinquante liens. Je n’y connaissais pas grand chose à l’origine et en tant que romancier ça a fini par faire tilt, je me suis dit que c’était quand même plus intéressant que de raconter des histoires de bobos parisiens et journalistes, comme j’ai pu le faire avant. C’est un champ énorme qui s’est ouvert.

D’autant que le spectre est assez large: de la géopolitique aux évolutions technologiques en passant par l’anticipation…

David Angevin: Oui. On s’est dit que tant qu’à faire, autant dresser un paysage complet.

Laurent Alexandre: Il se passe quelque chose avec Google, et c’est forcément un peu vaste. On n’est pas une des plus grandes puissances géopolitiques du monde, ce qu’est Google de notre point de vue aujourd’hui, sans que ça remue beaucoup d’éléments.

Vous situez l’action du roman en 2018, pourquoi?

Laurent Alexandre: Parce que ça sensibilise plus les gens que 2174. Et que ça situe l’action dans un contexte géopolitique, économique, social, que les gens vivent.

David Angevin: Notre idée est de faire une série de livres sur le sujet. C’est intéressant parce que ce n’est ni de la science-fiction (SF), ni de l’anticipation: 2018 c’est demain matin. Alors évidemment, on exagère un peu: ce qu’on raconte adviendra peut-être en 2025. La date n’est pas importante finalement. La SF, ça ne nous intéresse pas. JC Feraud parlait de technoythriller: un divertissement qui tente de poser des questions.

Laurent Alexandre: La bataille pour le contrôle de Google me paraît envisageable à cette échéance. On peut imaginer que des acteurs veuillent prendre le contrôle de Google et que les Etats se posent des questions. Si Google continue à vouloir être un cerveau planétaire et à vendre une forme d’IA, la propriété de Google sera un problème d’envergure internationale.

“On est des déclinistes, on ne croit pas que l’Europe va se réveiller demain matin”

A cet égard, votre vision de la géopolotique me paraît un peu pessimiste. Ce que vous décrivez autour de la crispation de l’Europe sur les questions bioéthiques et le tableau sombre que vous dressez de l’état économique de la zone euro est quasiment apocalyptique. Google est pourtant censé ne pas faire de mal et apporter des solutions. Qu’est-ce qui vous arrive?

Laurent Alexandre: Toutes ces histoires se construisent loin de chez nous. On peut pas dire que la Silicon Valley et la génomique se construisent sur les bords de la Seine ou sur les bords du Tage. On est quand même assez largement en dehors de cette histoire qui se construit entre Shenzhen, San Diego et la Silicon Valley, qui est l’épicentre des technologies NBIC.

Et pour vous, on va le rester?

Laurent Alexandre: Le “Google franco-allemand”, Quaero, ne me paraît pas très sérieux ni très crédible. On est des déclinistes, on ne croit pas que l’Europe va se réveiller demain matin.

David Angevin: Laurent me disait que l’Iran investit plus que nous dans les nanotechnologies.

Laurent Alexandre: Quand on voit la liste des pays qui auront plus de 150 millions d’habitants en 2050, c’est à dire demain matin, on a le Congo et l’Ethiopie (170 millions)… Ce ne sont pas de grandes puissances industrielles et technologiques, nous sommes d’accord. Mais les équilibres géostratégiques bougent beaucoup, et rapidement. L’Iran, le Viet-Nam et l’Egypte ont dépassé les 125 millions d’habitants. Quand j’étais en 6ème, l’Egypte était au programme, il y avait 27 millions d’habitants. Le basculement est très rapide.

David Angevin: On parlait de pessimisme sur l’aspect économique. C’est une possibilité. C’est un roman, donc on peut s’amuser mais c’est tout de même fondé sur un terreau qui tend à nous faire penser qu’on peut aller par là.

Vous vous faites effectivement plaisir et ça se ressent à la lecture, notamment dans l’inspiration qui semble provenir des Etats-Unis. Comment vous êtes-vous répartis la tâche en terme de rédaction?

David Angevin: On a travaillé, on a mis deux ans à écrire ce livre. Je ne trouve pas particulièrement de plaisir à lire des polars français ou, encore pire, les polars nordiques que je trouve insupportables mais qui se vendent commes des petits pains. On est plutôt fans de littérature américaine effectivement. Ce qui m’a donné le rythme en revanche, n’a rien à voir: je me suis retapé les six saisons des Sopranos !

Concernant les évolutions de la génétique et de la thérapie génique que vous décrivez, 2018 vous paraît être un horizon crédible?

Laurent Alexandre: C’est en train d’exploser. Le coût du séquençage ADN baisse de 50% tous les cinq mois.


David Angevin: Le premier a eu lieu en 2003.

Laurent Alexandre: En 2003, une personne a pu séquencer son ADN, Craig Venter. 2007 c’était Watson, inventeur de l’ADN. En 2009, on arrive à 100, et en 2010, 4500. On parle de 2 millions de personnes en 2013. Le coût d’un séquençage baisse drastiquement en parallèle. 3 milliards de dollars pour Craig Venter. En 2013, on sera à 1000 dollars et à 100 dollars en 2018. Après, il y a la thérapie génique. Cela obéit à une loi de Moore au cube. La loi de Moore, ça baisse de 50% tous les 18 mois, là, on en est à une baisse de 50% tous les cinq mois. Il y a un véritable génotsunami en cours. Donc, pour répondre à votre question, la partie génétique paraît probable. La partie intelligence artificielle interviendra sans doute un peu plus tard, mais il est claire que la thérapigénique va exploser assez rapidement.

“Nous ne sommes qu’au milliardième de ce qu’on aura dans trente ans”

Donc l’enjeu se situe au point de rencontre entre thérapie génique et noosphère?

Laurent Alexandre: Il avait décrit Google en fait,en évoquant la mise en commun de tous les cerveaux de la planète, mais sous une forme religieuse. Il ne pensait pas évidemment aux microprocesseurs. Mais Google est quand même une forme de noosphère.

David Angevin: D’ailleurs, le test de Türing en 2018, ce n’est pas complètement impossible…

Laurent Alexandre: La preuve par Waston. Moi je pensais qu’il allait perdre. Pour ce jeu télévisé [voir vidéo en anglais] qui est quelque chose de compliqué se rapprochant d’un test de Türing, j’étais persuadé qu’on était 5 ans trop tôt pour qu’un ordinateur l’emporte.

David Angevin: En plus, il n’a pas gagné contre des nazes. J’ai pas répondu à une question.

Laurent Alexandre: Il a fait une ou deux erreurs logiques, mais c’était impressionnant. On peut penser que le test de Türing sera gagné avant 2020, mais ce n’est pas le test de l’intelligence.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Au delà de l’intelligence artificielle, le mouvement transhumain (en particulier Kurzweil) met en avant la volonté d’aller vers une forme d’immortalité.

Laurent Alexandre: L’immortalité, c’est plutôt le post-humain. Parce que le transhumain ne télécharge pas son cerveau. Le vrai immortel, c’est plutôt le post-humain. Ce genre d’idéologie va attirer pas mal de gens étranges: des gourous NBIC autant que des kamikazes bioluddites. On peut imaginer toutes les dérives dans cet univers, comme dans toutes mutations technologiques.

Vous partez d’ailleurs du principe que les religions vont rentrer en résistance par rapport à cette mutation.

David Angevin: Ca va aller tellement vite qu’ils vont flipper. Ils sont déjà relativement crispés sur ces questions. On peut imaginer que des extrêmistes religieux se mobiliseront contre ces évolutions. D’ailleurs, dans notre livre, Larry Page se fait descendre par un kamikaze bioluddite.

Laurent Alexandre: Si le pouvoir de l’homme croît exponentiellement, si l’espérance de vie augmente et si on manipule à l’envi notre ADN et notre cerveau, on pose bien sûr question aux religions. Et surtout si on créé de la vie tabula rasa. On est dans une phase de création de la vie en éprouvette, déjà. On a créé une cellule artificielle en juillet dernier, ce qui n’est pas anodin vis à vis des religions. Dans le puzzle NBIC, c’est une pièce importante, comme d’autres se mettent en place depuis quelques années. Et elles s’assemblent: le séquencage ADN, la thérapie génique à notre porte, la vie artificielle qui se créée, des progrès extraordinaires dans la compréhension du cerveau et en IA.

Ce qui est fascinant, c’est que quand on prend la loi de Moore, l’évolution est proprement ahurissante. En réalité, nous ne sommes qu’au milliardième de ce qu’on aura dans trente ans.

“On n’a jamais renoncé à un progrès scientifique”

Vous parlez des bioluddites, ces gens refusant le progrès et luttant contre ses applications. On vous sent un peu amers par rapport aux écologistes et aux décroissants.

David Angevin: On n’a jamais, dans toutes l’histoire de l’humanité, renoncé à une découverte, à un progrès scientifique. J’ai plutôt de la tendresse pour ces gens. J’ai un profond respect pour les gens qui se retirent de la société. Mais il y a aussi un côté un peu pathétique, parce que ce n’est pas ce vers quoi le monde va. Je suis assez frappé qu’on arrive avec ce bouquin et qu’il n’y ait pas déjà eu un million de livres sur le sujet! C’est grave. Le manque de curiosité des journalistes ou des responsables politiques sur ces sujets, c’est dément!

Vous pensez que ces questions devraient être beaucoup plus présentes dans le débat public?

David Angevin: Bien sûr.

Laurent Alexandre: Les politiques ne veulent pas en entendre parler. Je suis énarque, j’en connais des politiques. La technologie leur fait peur. En réalité, la biopolitique et les NBIC ne rentrent pas dans le clivage droite/gauche.

Madelin est ultra proNBIC, il y a des gens pro NBIC à gauche, les écologistes sont antiNBIC, comme les cathos versaillais de droite. La biopolitique, ce n’est pas gauche/droite, et donc c’est un peu compliqué.
David Angevin: Il y a aussi des associations contre-nature dans le livre, comme entre extrêmistes islamistes et cathos de droite.

La théorie du livre c’est que la clivage droite/gauche va disparaître au profit du clivage bioconservateurs/transhumanistes.

“Le cyborg est une figure qui nécessite quelques décennies pour s’épanouir”

Votre livre a-t-il pour objet de vulgariser ces thématiques?

David Angevin: Au départ, on voulait faire ça sous forme d’essai, mais on s’est vite rendu compte que c’était trop froid: c’était plus malin d’en faire une “politique-fiction”: un bon moment à passer qui pose les bonnes questions.

Laurent Alexandre: Et puis Sergey Brin est un personnage de roman: si puissant, et si jeune. Et ils ont des comportements de gamins avec leur ballons et leurs bureaux à la con. Ce sont de grands enfants. En plus, Brin matérialise deux des facettes NBIC: la génétique et l’IA.

C’est le rapprochement entre ces deux champs qui apparaît central dans le livre. Pouvez-vous en donner des exemples?

Laurent Alexandre: L’analyse d’un génome nécessite beaucoup d’algorithmes. L’affinement des technologies d’analyse du génome passera par des algoritmes qui vont de plus en plus tendre vers l’IA. Quand on traite des milliards et des milliards de données, on est déjà dans de l’IA, aves des moteurs de recherche, des moteurs d’inférence… C’est une tendance. Ce qu’on fait en biologie va également être de plus en plus irrigué par de l’IA. Mais il n’y aura pas de seuil. On ne va pas du jour au lendemain découvrir l’IA: ce n’est pas un bouton on/off. C’est comme un enfant qui grandit, c’est un processus vivant qui se créé. L’an 0 de l’IA, c’est la victoire contre Kasparov aux échecs en 1997, ce que tout le monde considérait comme impossible. Pourtant, il y a encore des champs dans lesquels l’ordinateur ne peut battre l’homme: le jeu de Go par exemple.

En revanche, vous n’êtes pas très “androïdes”. Vous parlez de post-humains mais il n’apparaît pas tel quel dans votre livre.

David Angevin: C’est 2018, encore une fois. Il va y avoir une suite.

Laurent Alexandre: Le cyborg est une figure qui nécessite quelques décennies pour s’épanouir…

Et, pour revenir à Google, vous pensez que ses dirigeants sont dans cette logique…

David Angevin: Oui, et ils ne s’en cachent pas!

Laurent Alexandre: Sur l’IA, ils ont fait plusieurs déclarations dans lesquelles ils présentaient leur objectif: que Google soit un moteur d’IA.

David Angevin: On n’a pas inventé grand chose.

Dans votre livre, deux milliards d’individus se connectent à Google chaque jour. Google amasse déjà énormément de données, et on peut décemment se poser la question de savoir ce qu’ils vont en faire.

David Angevin: Dans le bouquin, Google se contente de s’en servir pour tenir tout le monde par les couilles, ils s’en servent comme d’une arme.

Laurent Alexandre: Notre conviction, c’est que si on avait de vrais moteurs d’IA, on s’en servirait à des fins médicales. Parce que finalement la seule obsession partagée par tout le monde sur Terre est de vivre plus longtemps. Ce serait l’utilisation première.

Pourtant, dans Google Démocratie ça tire dans tous les sens. Il y a des rapports de force, des flingues, des mafieux, des agents plus ou moins secrets…

David Angevin: On est en 2018, encore une fois. Et c’est tôt, ils n’ont pas encore fait le boulot, ni gagné la partie. Il y a forcément des barbouzes qui gravitent autour. Et puis, c’était pour le côté fun.

Laurent Alexandre: Tout cela reste très humain.


Illustrations CC FlickR: MJ/TR, Tangi BertinJoamm Tall

Images de Une par Marion Boucharlat pour OWNI

Retrouvez tous nos articles sur Google et le transhumanisme.

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http://owni.fr/2011/03/20/google-democratie-entretien-google-une-des-plus-grandes-puissances-geopolitiques-du-monde/feed/ 20
Quand Google règnera sur la posthumanité… http://owni.fr/2011/03/19/quand-google-regnera-sur-la-posthumanite/ http://owni.fr/2011/03/19/quand-google-regnera-sur-la-posthumanite/#comments Sat, 19 Mar 2011 16:00:10 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=50523

Palo Alto, Californie, 2018. Sergey « Brain » est l’empereur d’un monde connecté. Google est partout, anywhere, everywhere, anytime. Il a mis à genoux Microsoft, le géant déchu du logiciel qui a initié la grande révolution numérique. Et aussi Apple, dont feu le PDG Saint Jobs, a eu la naïveté de croire que son œuvre perdurerait par la seule magie du bel objet technologique et du buzz marketing. S’il avait su…Le business ultime n’était pas dans le design et l’ergonomie mais dans les contenus, la connaissance. L’avenir n’était pas dans la création d’un univers fermé, mais dans la numérisation de l’univers… Google a mis KO ses concurrents mais aussi toute l’économie traditionnelle. La Firme règne sur les médias, les télécommunications, les énergies nouvelles, les biotechs.

Des milliards investis dans la techno-médecine, la cybernétique et le génie génétique

Deux milliards d’individus se connectent chaque jour sur ses serveurs. Google est un Dieu de l’information. Il gère des pétabits de données personnelles venues des quatre coins du monde. Dispense l’information comme un fluide vital à une humanité en pleine transformation. Google évangélise. Sa nouvelle religion : la courbe exponentielle du progrès que rien ni personne n’arrêtera. Sa promesse aux fidèles : le salut sur Terre, l’immortalité enfin, ce vieux rêve du pauvre homo sapiens terrorisé par sa fin biologique inéluctable. À coups de milliards de dollars, investis dans la techno-médecine, la cybernétique et le génie génétique, Google est en train de donner naissance à l’homme 2.0, un humain augmenté, sauvé par le mariage avec la machine. Les cures de cellules souches et les nano-robots commencent à réparer en profondeur ce que les liftings et le botox ne faisaient que camoufler grossièrement en surface et de manière trop éphémère. Bientôt le cancer ne sera qu’un mauvais souvenir. Les femmes programment l’ADN de leurs futurs bébés, écartant laideur, tares, maladies, privilégiant la beauté lisse et photoshopée des magazines. La grande sélection a commencé. Google a pris la tête du Projet Transhumaniste.

Google a aussi un projet caché : la Singularité. Une intelligence artificielle « sensible », qui boit comme un vampire tout le savoir de l’humanité pour mieux veiller à sa destinée, prendre en charge son bonheur. Ce projet est soutenu sans réserve par le gouvernement des États-Unis d’Amérique qui domine le monde avec son ennemi économique et géostratégique numéro un, l’empire turbo-capitaliste chinois. La vieille Europe est laminée, appauvrie, exsangue faute d’avoir investi dans la révolution numérique. Le chômage explose, la révolte gronde. La crise grecque du tournant des années 2010 annonçait le début de la fin. Aujourd’hui ses habitants affolés émigrent ou appellent à la révolution bioéthique et technologique contre leurs gouvernements décadents accrochés aux vieilles lunes de la bioéthique, dans l’espoir de rejoindre le camp des vainqueurs. Celui de la prospérité, celui du bonheur éternel, celui de Google.

Serguey a peur, moi aussi

Mais Sergey est inquiet. D’abord son ami Larry, avec qui il a créé Google à la fin du XXe siècle n’est plus là pour voir leur cyber-rêve global se concrétiser. Il a été assassiné par un terroriste bioludite en sortant de sa Tesla Car pour acheter des donuts. Ce taré a expliqué : « Je suis en mission pour tuer l’Antéchrist et sauver l’humanité. » Il y a aussi ces illuminés chrétiens qui s’immolent par le feu. Et leur alliés basanés d’Al-Qaeda, toujours là, qui tentent de faire exploser les fermes de serveurs ultra-sécurisées avec leurs bombes suppositoires quasi-indétectables. Et ce vieux fou pathétique et mourant de Murdoch qui les excite depuis son lit d’hôpital sur Fox News – tout ce qui reste de son empire de médias… Sans parler de Bill Gates, qui est devenu la mère Teresa des pauvres en Afrique , parle de bonté, nique des filles en boubou dans des cases, et consacre le maigre temps qui lui reste à claquer tout son pognon pour sauver la vieille humanité inutile et obsolète qui n’aura pas accès au grand Projet.
Maintenant le moindre expert en IA de seconde zone porte un gilet pare-balles et bénéficie d’une protection rapprochée. C’est la guerre entre l’obscurantisme pré-numérique et et le progrès transhumain… Et Sergey a peur, il est terrorisé à l’idée de mourir avant d’avoir éradiqué en lui le programme de la maladie de Parkinson annoncée par son patrimoine génétique :

Sergey Brain ne voulait pas finir comme Howard Hugues, malade et dément, richissime et parano. Il voulait continuer à vivre. Faire des choses complexes, comme poursuivre le remodelage du monde. Il voulait continuer à façonner l’humanité et vivre comme un chef d’État. Il voulait aussi faire des choses simples comme du trapèze ou baiser sa femme. L’idée de tout perdre le rongeait littéralement (…) Sergei pensait en priorité à sauver sa peau. En bon transhumaniste, il bandait en considérant la courbe exponentielle de la science. Le progrès serait un jour synonyme d’immortalité pour l’espèce humaine…

Coucou, tu veux voir mes circuits intégrés ?

Un techno-thriller qui pose les bonnes questions

Voilà, c’était en résumé le meilleur des Googlemonde, un futur possible très proche, tel qu’il est raconté dans Google Démocratie. Ce formidable roman d’anticipation, qui résonne des dernières avancées technologiques et des grandes inquiétudes éthiques qui leur sont associées, sort cette semaine chez l’éditeur Naïve. Ses auteurs sont David Angevin (qui a notamment signé Dans la peau de Nicolas, la fausse autobiographie de Sarkozy) et Laurent Alexandre, chirurgien urologue et fondateur du site Doctissimo. J’ai pris un vrai pied en le lisant avec un peu d’avance sur vous (le privilège du blogueur). Mais ceci n’est pas un billet sponsorisé ;) Juste une critique coup de cœur. J’ai d’autant plus halluciné en lisant ces quelque 400 pages que j’y ai retrouvé beaucoup de mes propres interrogations sur le pouvoir qui est désormais entre les mains de Google. J’ai suivi l’irrésistible ascension de la Firme en tant que journaliste depuis ses débuts en 1998. En observateur conquis et naïf.
Mais ces dernières années, ces derniers mois j’ai un peu pris peur en prenant conscience que Google était en train non seulement de numériser notre monde, mais aussi notre vivant. J’ai été très inquiet en entendant son (ex) PDG, Eric Schmidt déclarer : “Ce que nous essayons de faire c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu’ils n’arrivent pas à faire bien.” J’en ai fait ce billet : “L’homme augmenté selon Google, vers une transhumanité diminuée”. Voilà ce que j’écrivais le 4 octobre dernier :

Google est DÉJÀ un véritable prolongement de nous-mêmes, une extension, un pseudopode numérique de notre cortex. Google est dans votre tête, vous connaît mieux que quiconque à force d’enregistrer vos moindres faits et gestes sur le web. Avez-vous déjà essayé de vivre sans Google ? (…)Vous ne pourrez plus vous passer de Google, sauf à être un homme “diminué”. C’est en tout cas le projet assumé des dirigeants de “La” Firme. Sergey Brin, le fondateur de Google, a récemment dit qu’il voulait faire de sa création “le troisième hémisphère de notre cerveau”

À croire que les auteurs de Google Démocratie ont aussi lu mon blog en se documentant ;) Mais comme Sergey Brain, je dois être salement mégalo haw haw :D

Je suis un être humain, pas un transhumain

On peut aussi lire Google Démocratie comme une nouvelle resucée du “Big Brother” d’Orwell ou du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Mes saines lectures de jeunesse. Mais c’est assumé par les auteurs. Et leur livre vaut bien mieux que cela. Ce techno-thriller cyberpunk est non seulement plaisant à lire, mais il pose vraiment les bonnes questions. Perso, les transhumanistes et leur trip de sélection aryenne à la Mengele me font sacrément flipper. Surtout quand leur message raisonne de manière irraisonnée dans le projet de s dirigeants de la Firme la plus puissante du monde. Je dois être vieux, old school, mais je n’ai pas peur de mourir : « Je suis un humain, pas un post-humain, ni un transhumain. Je fume (un peu), je bois (un peu), je vis, j’aime, trop vite, trop fort comme beaucoup d’entre nous. Life is good. Mais comme vous, je vais mourir un jour et Google n’y pourra rien… » (je m’autocite encore ;) Et quand je lis en préface de Google Démocratie ces mots attribués à un employé de Google…

Nous ne scannons pas tous les livres de la planète pour qu’ils soient lus par des hommes. Nous scannons ces livres pour qu’ils soient lus par une intelligence artificielle.

… j’y crois, je suis fasciné et quelque part techno-enthousiaste je vous le confesse…mais je suis aussi pris de vertige. Forcément. Et je pense à Michel Serres pour qui « un nouvel humain est né » : le philosophe « voudrait avoir dix-huit ans puisque tout est à refaire, tout reste à inventer. » Il vient de signer un texte magnifique d’optimisme dans Le Monde pour nous dire d’avoir confiance en l’homme, avec le progrès. Mais je pense aussi à Michel Houellebecq qui annonce l’obsolescence de l’humanité dans tous les sens du terme. Et aussi à une autre voix, celle du philosophe slovène Slavoj Zizeck qui annonce « la fin des temps » dans son dernier essai. Ecoutez-le ici sur France Culture : il pense que le capitalisme a atteint son stade ultime et pousse désormais l’humanité à sa perte. À moins que l’on ne soit déjà entré avec Google et quelques autres dans la post-humanité, dans la singularité, un nouvel empire machine construit pour bien plus de mille ans…

Google Démocratie, par Laurent Alexandre et David Angevin (399 pages, 21 euros, parution le 9 mars chez Naïve)

P.S : vous n’y croyez pas ? Les propagandistes du culte transhumaniste, dont on retrouve l’origine-source ici sur le site de la Singularity University [en] ou là avec le Manifeste des Extropiens de Max Moore, sont déjà à l’œuvre. Par exemple dans le dernier clip de Lady Gaga comme nous l’expliquent nos amis blogueurs et complotistes ;) des Agents Sans Secret. Jugez-en plutôt par vous même en vous concentrant sur l’intro :

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Billet initialement publié sur Mon écran radar

Images CC Flickr Sasha Nilov et FORSAKENG

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http://owni.fr/2011/03/19/quand-google-regnera-sur-la-posthumanite/feed/ 37
Même pas mort dans ma deuxième vie numérique ! http://owni.fr/2011/02/14/meme-pas-mort-dans-ma-deuxieme-vie-numerique/ http://owni.fr/2011/02/14/meme-pas-mort-dans-ma-deuxieme-vie-numerique/#comments Mon, 14 Feb 2011 16:36:19 +0000 Capucine Cousin et Jean-Christophe Féraud http://owni.fr/?p=46636 Avez-vous déjà songé à ce que deviendront vos mails, vos tweets, votre page Facebook ou votre blog une fois passé à trépas ? Le fantôme de votre double numérique hantera-t-il pour toujours le cyberespace à coup de posts automatiques  et de “c’est votre anniversaire” sur le “Social Network”? Votre compte Twitter continuera-t-il à vivre alimenté par des posts en 140 signes robotisés ou sera-t-il usurpé par un proche ou un inconnu entretenant l’illusion pour vos 4000 followers ?

Sans y penser, vous semez chaque jour, à chaque heure, parfois à chaque minute les traces de votre existence et de vos pensées  sur les dizaines de milliers de serveurs qui font battre le coeur du Réseau. Et vous vous assurez ainsi une postérité numérique, une forme d’immortalité sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Demain, à partir de cet ADN digital, vos descendants pourront peut-être recréer votre personnalité sous la forme d’un avatar “3D” doté d’une intelligence artificielle avec qui ils pourront conserver : “Dis c’était comment cher Aïeul au début du XXIème siécle ? Et qui était cette femme que tu as tant aimé ?”… Encore plus fou, n’avez-vous jamais rêvé (ou cauchemardé) de renaître à la vie par la grâce d’une manipulation de votre ADN biologique, cette fois, cloné par quelque savant fou qui donnerait naissance à un Golem de chair, un deuxième vous-même ? Et si d’aventure il était possible un jour de “sauvegarder” votre conscience, ce pur esprit que les croyants appellent l’âme, pour la télécharger sur un disque dur et ressusciter des morts tel Lazare sous la forme d’un homme-machine que l’on appelle Cyborg ?

#JESUISMORT

Le sujet est troublant, dérangeant. Pourtant, il faudra bien se pencher dessus, alors qu’un business commence à émerger autour de la gestion de votre vie numérique, de l’archivage de votre vie numérique, avec notamment le projet Total Recallil en était question au cours de la soirée #jesuismort , organisée mardi à La Cantine par nos amis de L’Atelier des Médias de RFI, Silicon Maniacs et Owni (retrouverez la vidéo à la fin de ce billet). Une soirée-débat particulière, avec des invités étranges (entre autres un président de l’Association Française Transhumaniste, un membre de la Singularity University…) où l’on a beaucoup causé immortalité et transhumanisme, cette mouvance culturelle qui prône l’usage des sciences et des techniques pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. ourdi par un Docteur de Mabuse de Microsoft. Votre vie numérisée pour l’éternité, l’immortalité digitale, la transcendance de l’humanité et son “augmentation” par la machine…Justement,

Un truc de doux de dingues ? Pas si sûr quand Eric Schmidt de Google s’y met et déclare : “Ce que nous essayons de faire c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu’ils n’arrivent pas à faire bien”…

Au lendemain de la soirée #Jesuismort, nous avons donc décidé d’écrire ce billet à quatre mains avec ma collègue blogueuse et journaliste Capucine Cousin et de l’accueillir sur nos blogs respectifs (vive les billets co-brandés ;). Alors suivez le guide, continuons donc notre voyage dans les limbes de la post-humanité numérique…

Cimetière Virtuel

Nos traces numériques esquissent déjà des prémices à notre postérité digitale. Vous êtes peut-être déjà tombés, au gré de vos pérégrinations sur Facebook, sur des pages de personnes décédées. Capucine a déjà  atterri par hasard sur la page Facebook du frère d’un ami, disparu en mer. Son wall était resté ouvert, en accès libre, ses amis et sa famille continuaient à y déposer des messages d’hommage post-mortem. J’ai connu la même expérience suite à la mort soudaine d’un vieil ami journaliste…et lorsque la petite fille d’un autre ami a été emportée si jeune par la maladie. Sa famille, ses proches, ses amis d’école lui ont continué à lui parler pendant des mois comme à un ange présent derrière l’écran, lui érigeant un mausolée presque gai de photos, petits mots,  fleurs et dessins….Un besoin troublant, émouvant, déchirant d’entretenir la mémoire vieux comme l’humanité : Facebook est-il en train de devenir le premier cimetière virtuel global ?

La question est posée. Justement, mardi soir à #Jesuismort, Tristan-Mendès France, un temps assistant parlementaire, maintenant blogueur, documentariste et chargé de cours au Celsa, nous a longuement parlé de cela – ces rites funéraires qui commencent à se développer dans des mondes virtuels. La première fois, que cela s’est produit, dit-on, c’était dans le jeu en réseau “Word of Warcraft” en 2005 : suite au décès d’une gameuse, une véritable veillée a été organisé dans le monde de Warcraft pour lui rendre hommage…

Pour Tristan, c’est sûr, Facebook devient aussi un lieu de sépulture et de culte post-mortem qui compterait 5 millions de morts sur 600 millions de vivants: des profils de personnes décédées, laissés ouverts, volontairement ou pas, par les familles… Et de fait, c’est un peu affolant, mais rien n’a été prévu par les Facebook, Twitter, LinkedIn et les autres réseaux sociaux pour supprimer le profil d’une personne décédée ! Idem pour les plateformes de blogs, les moteurs de recherche…

Au niveau juridique, c’est la jungle. Au point que quelques sociétés imaginent déjà sûrement des solutions de marchandisation post-mortem. Imaginez : bientôt, à défaut d’être immortel physiquement, vous pourrez sans doute vous acheter une immortalité digitale, garder une présence en ligne, sous la forme d’une concession virtuelle éternelle ou réduite à 20, 30 ou 50 ans…

Parallèlement, des futurologues, gourous du transhumanisme, tels Raymond Kuzweil, Aubrey de Grey, et autres doux dingues le jurent: la mort est un phénomène dont on peut guérir. Certains prédisent l’immortalité dans 15 ou 20 ans grâce au séquençage du génome humain, entre autres évolutions technologiques. Lisez plutôt le Manifeste des Extropiens, une nouvelle religion conceptualisée par le bon docteur Max More http://www.maxmore.com/:

Nous mettons en question le caractère inévitable du vieillissement de la mort, nous cherchons à améliorer progressivement nos capacités intellectuelles et physiques, et à nous développer émotionnellement. Nous voyons l’humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous défendons l’usage de la science pour accélérer notre passage d’une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine. Comme l’a dit le physicien Freeman Dyson, ‘l’humanité me semble un magnifique commencement, mais pas le dernier mot

(Introduction à “Principes extropiens” 3.0).

Un délire de l’humain parfait flirtant dangereusement avec l’eugénisme et l’homme nouveau national socialiste qui a abondamment inspiré la Science-Fiction d’avant et d’après guerre, du “Big Brother” d’Orwell au “Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Et que l’on a vu recyclé dans plusieurs films, notamment « Bienvenue à Gattaca » où des  jeunes gens au patrimoine génétique parfaits étaient programmés pour partir à la conquête de l’espace…Pour mémoire, voyez plutôt ce petit extrait :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Etranges Concepts

C’est là, que défilent d’étranges concepts survolés lors de la soirée #Jesuismort. On a brièvement parlé de cryogénisation”uploading de l’esprit” ou comment transférer  le contenu d’un cerveau sur disque dur, en l’ayant préalablement numérisé. Un ordinateur pourrait alors reconstituer l’esprit par la simulation de son fonctionnement, sans que l’on ne puisse distinguer un cerveau biologique «réel » d’un cerveau simulé…Totalement naïf et délirant vous diront tous les neurologues vu la Terra Incognita que reste notre cortex pour la science. Le concept apparaît pourtant dans “Matrix” et ses suites, mais aussi dans “La Possibilité d’une Ile” de Michel Houellebecq, où le “mind uploading” est évoqué comme un composant de la technique permettant de vivre, jeune, plusieurs vies successives avec un corps et un esprit identiques. De vaincre enfin l’obsolescence de l’humanité

Les tenants du transhumanisme y croient dur comme fer: en plein débat sur la réforme de la loi sur la bioéthique (le texte est en débat au Parlement en ce moment), ils ne jurent que par les propositions « technoprogressistes ». Comme par exemple, « autoriser le libre choix de la gestion pour autrui, notamment dans le cas des mères porteuses », expliquait mardi soir Marc Roux, étrange président de l’Association Française Transhumaniste. Pour lui, c’est simple, « le législateur est très en retard sur ces sujets ».

Ces délires scientistes autour du transhumanisme se concrétisent déjà. Vous voulez  savoir si d’aventure vous n’avez pas quelques prédispositions pour avoir un cancer ou la maladie d’Alzheimer ? Si votre enfant potentiel à venir aura un QI de 150 et les yeux bleus ? Une kyrielle de start-ups pullulent sur le Net, et vous proposent déjà d’analyser votre ADN, telle 23AndMe (oh tiens donc, fondée par l’épouse de Sergey Brin, un des fondateurs de Google…on y reviendra), d’explorer votre patrimoine génétique, ou plus prosaïquement de faire un test de paternité. Quitte à conserver dans leurs bases de données ces précieuses données très intimes vous concernant… au risque de les revendre dans quelques années.

J’ai vu tant de chose que vous humains ne pourrez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannahauser.Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie…

déclamait Roy, le répliquant de “Blade Runner dans la scène finale du film de Ridley Scott.

Comme nous pauvres mortels, il avait peur de tirer sa révérence sans laisser trace de son existence terrestre. Il se trompait. Demain, rien ne se perdra totalement dans l’oubli. La mémoire du réseau est éternelle. Demain, une bonne partie de ce que nous avons été perdurera pour des siècles et des siécles sous une forme immatérielle ou une autre

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L’humain, à la vie, à la mort http://owni.fr/2011/02/07/lhumain-a-la-vie-a-la-mort/ http://owni.fr/2011/02/07/lhumain-a-la-vie-a-la-mort/#comments Mon, 07 Feb 2011 16:26:48 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=45549 Une ère sans vieillissement, sans maladie, voire même sans timidité, ni angoisse; une ère qui viendrait augmenter les capacités cérébrales de traitement de l’information, désespérement humaines, trop humaines. Telle est l’avenir prédit par le transhumanisme, mouvement enraciné dans la croyance d’une évolution nécessairement positive de l’humanité, sous l’effet des technologies. Pour Ray Kurzweil, prolifique inventeur, mécène de la Singularity University et pape mégalo du mouvement, nous pourrons très bientôt “transcender les limites de nos corps et cerveaux biologiques”.

Si l’immortalité est la partie visible de l’iceberg, les rêves transhumanistes affectent d’abord notre condition d’être vivant, en proclamant pour tout individu, le droit de compléter, enfin, son état “limité”. Une conception libérale qui vient questionner la définition même de l’humain, et de notre appartenance à l’espèce: peut-on faire ce que l’on veut avec ce qui nous fait Homme ou doit-on accepter d’être encadré au nom de la préservation d’un noyau dur d’humanité ?

Espérance de vie ? 1000 ans

Dans son livre The Singularity is Near (traduit en français sous le titre L’humanité 2.0), Ray Kurzweil explique que “nous gagnons rapidement la connaissance et les outils pour maintenir et étendre le ‘foyer’ que chacun d’entre nous appelle corps et cerveau”, reprenant ainsi à son compte une métaphore d’un autre gourou du mouvement, Aubrey De Grey. L’expansion des technologies suivant un rythme de croissance toujours plus fulgurant, son impact sur l’Homme, poursuit-il, devrait très rapidement se faire sentir et ce de façon irrémédiable, présidant à une nouvelle ère humaine. Ce basculement, c’est la Singularité.

L’espérance de vie croit elle-même progressivement et ce rythme accélérera rapidement, maintenant que nous sommes dans les premiers pas de l’ingénierie des processus d’information qui sous-tendent la vie et les maladies.

Robert Freitas estime qu’en éliminant une liste précise comprenant 50% des conditions médicalement évitables, on étendrait l’espérance de vie au-delà de 150 ans. En évitant 90 % de ces problèmes médicaux, elle dépasserait les 500 ans. A 99%, nous serions au-delà des 1000 ans.

Présentée comme une “maladie”, la mort doit disparaître du champ humain et l’espérance de vie tendre vers l’infini. L’objectif est fondamental, il se place dans le trio de tête des “to do” transhumanistes, précise Rémy Sussan, journaliste à InternetActu.net et auteur d’un livre consacré aux Utopies posthumaines.

Certains vont même plus loin, cherchant non seulement à abattre l’ultime mur de notre condition d’être fini, mais aussi à en renverser les effets. Anecdote familière à tous ceux qui se sont penchés sur son cas, Ray Kurzweil cherche à faire revenir son père, mort d’une crise cardiaque à 58 ans, parmi les vivants. Des cartons rassemblant des éléments de la vie paternelle constituent en grande partie l’information qui servira de base à “l’intelligence artificielle” qui, espère Kurzweil, “[lui] ressemblera beaucoup” (Extrait du documentaire Transcendent Man de Ray Kurzweil adapté de son livre sur la singularité) . Plus qu’un dépassement de la finitude, un véritable nananère à l’adresse de la Faucheuse.

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Le sens de l’Homme

Le transvasement d’un être perdu dans une intelligence artificielle ne fait néanmoins pas l’unanimité. Croyant en la possibilité de faire “un back-up de son cerveau”, Rand Hindi, spécialiste de bioinformatique passé par la Singularity University, pense en revanche que ranimer un individu dans son intégralité n’est pas envisageable:

Ressusciter un intellect sans ressusciter le corps est impossible: la plupart de l’information qui nous définit passe par notre corps, par l’interaction avec l’environnement. En ne prenant que la partie malléable du cerveau, oui, on pourrait transmettre une part d’informations dans un ordinateur.

Mais il n’aurait ni émotions, ni capacité de s’émerveiller sur le monde. Il n’aurait jamais la sensation de faim, ni ne serait énervé parce qu’il aurait mal dormi. Il ne comprendrait pas ce qu’est être humain, parce qu’il n’aurait pas cette interaction nécessaire avec l’environnement.

Le sens de l’humain, précisément : au-delà du dépassement de la mort, le Grand Oeuvre transhumaniste, qui déborde largement les limites de ce seul mouvement, interroge d’abord notre condition d’être vivant en lui conférant un sens bien particulier. Sans nécessairement se réclamer des hypothèses kurzweiliennes, ceux qui croient en un basculement prochain de l’Homme dans une évolution technologique, succédant à l’évolution biologique qui sous-tend l’espèce depuis son apparition, mobilisent une même notion : l’imperfection, en l’état, de l’Homme. Sa condition est qualifiée de “limitée” et de “non assistée”, tant au niveau de ses capacités intellectuelles que dans l’expression de ces émotions. Et ce sont les technologies qui vont venir combler cette incomplétude qui n’a que trop duré.

Dès lors, en “transcendant ses limites”, en “s’augmentant”, l’individu se promet non seulement à une vie sans destination finale, mais aussi et avant tout sans enveloppe contraignante, sans vecteur pour l’enfermer dans une expression étranglée de ses capacités. Au-delà du baroque de l’histoire, peu importent finalement les délires post-mortem d’un Kurzweil : s’il promet l’abolissement de la mort en fin de course, le transhumanisme prône d’abord le droit à une vie réparée et -forcément- meilleure. Ainsi la Déclaration Transhumaniste affirme vouloir favoriser “un large choix personnel aux individus sur la façon dont ils veulent favoriser leurs vies”.

Hisser cette liberté individuelle au rang d’impératif pose néanmoins plusieurs questions : le sens de cette “amélioration” de la vie humaine bien sûr, mais aussi celui de l’impact que pourraient avoir des altérations profondes, relevant du seul choix des individus, sur la définition déjà trouble de l’humain. Si des technologies le permettent, une fois les seuils biologiques franchis, pourquoi ne pas imaginer une humanité atomisée, multiple, défiant à l’envi sa sempiternelle symétrie, jouant les mécanos avec ses propres organes, enroulant son torse dans un châle d’entrailles, dont la tournure aurait pris, dans l’élan technologique, une allure esthétique ?

“On ne peut pas faire n’importe quoi avec l’humain”

Si l’on patauge en pleine anticipation barrée, envisager les conséquences d’un tel scénario ne semble cependant pas absurde à de nombreux comités éthiques européens. L’Irish Council for Bioethics a par exemple publié un livret très complet (.pdf) présentant en neuf questions les problématiques posées par “l’augmentation de l’humanité”.

Contactée par OWNI, Laurence Lwoff, chef de la Division de la Bioéthique et Secrétaire du Comité directeur pour la Bioéthique au Conseil de l’Europe, précise pour sa part que si le transhumanisme n’est pas à l’ordre du jour, dans la mesure où les comités réfléchissent au “développement scientifique” réel et non à des intentions, les questions que pose le mouvement se retrouvent dans des préoccupations qui n’ont rien de fictionnelles, notamment “dans la génétique, les neurosciences, le diagnostic pré-implantatoire.”

Si l’idéologie transhumaniste venait à s’actualiser, le Conseil de l’Europe devrait néanmoins s’en emparer, en particulier sur le volet d’un “droit à s’augmenter“. Bien trop lacunaire dans sa définition, il rentrerait alors en collusion avec les valeurs de dignité et d’intégrité humaines dont l’institution s’est faite gardienne :

L’idée véhiculée par les porteurs de cet accroissement des capacités est qu’on ne peut pas l’interdire à un individu, que cet acte doit être un droit. C’est par exemple le discours de Julian Savulescu, directeur de l’Oxford Uehiro Centre for Practical Ethics, qui en gros affirme que tout le monde aimerait voir le QI de sa population plus élevé. Ces affirmations seraient contradictoires avec les valeurs du Conseil de l’Europe, qui chercherait  à protéger la dignité et l’intégrite de l’humain face aux riques qu’une telle volonté implique : que veut dire s’augmenter ? Et où placer les limites de l’humain ?

Laurence Lwoff ajoute par ailleurs que si une innovation technologique venait déstabiliser la définition de l’humanité, il y aurait fort à parier que le Conseil de l’Europe s’en saisisse avec une rapidité surprenante, au vu de la lourdeur d’une telle institution. Preuve en est le précédent Dolly, du nom de la brebis clonée en 1996, qui a ébranlé toute la communauté scientifique:

C’est tout un dogme qui est tombé, tout un pan d’une certaine approche du développement humain qui a dû être remis en cause. Il y a eu un certain affolement, une inquiétude sur l’instrumentalisation possible de ces méthodes; le clonage reproductif n’est pas le seul enjeu sur la table. En six mois, un texte a été adopté, c’est au-delà du stupéfiant dans le cas du Conseil de l’Europe. C’est une urgence qui a fait consensus : il était important d’affirmer un ensemble de valeurs.

Au niveau étatique, indique encore Vincent Berger, jurisconsulte de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui protège et délimite les libertés fondamentales marquées dans la Convention Européenne des droits de l’homme, il est fort probable que les gouvernements “tentent d’une manière ou d’une autre d’intervenir”, et ce “même si les individus sont consentants”. “On ne peut pas faire n’importe quoi avec l’humain”, ajoute le magistrat.

Une assertion qui reste lettre morte face aux plus convaincus qui, s’ils reconnaissent et tentent de déconstruire les critiques – auxquelles Kurzweil consacre tout un chapitre dans son dernier livre-, “ne cherchent pas la confrontation”. “Ils sont sûrs que ce qu’ils prédisent arrivera”, souligne justement Xavier de la Porte. A leurs yeux, la contradiction ne se justifie que par une incompréhension fondamentale de ce basculement vers une nouvelle ère, prophétie auto-réalisatrice, qui doit se produire et s’appliquer à tous. L’approbation de l’humain n’y changeant rien.


A lire aussi:
- Autopsie de l’immortalité
- La mort vous web si bien

Illustrations CC:  Marion Kotlarski, joamm tall

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La mort vous web si bien http://owni.fr/2011/02/07/la-mort-vous-web-si-bien/ http://owni.fr/2011/02/07/la-mort-vous-web-si-bien/#comments Mon, 07 Feb 2011 15:15:35 +0000 jessicachekoun http://owni.fr/?p=45586 Cet article a été publié initialement sur Silicon Maniacs.

Owni.fr, l’Atelier des médias et Silicon Maniacs organisent une soirée ludique #jesuismort avec débats, réflexions et expériences autour de l’immortalité à l’ère numérique le 9 février 2011 à La Cantine (Paris).

#jesuismort est un événement multicanal et exploratoire de nouvelles formes médiatiques mêlant web, radio, vidéo, flux, automations, applications webs et réseaux sociaux. Il est organisé dans le cadre de la Social Media Week.

Le rendez-vous est donné dans le quartier latin. Nous sommes à deux pas de la statue de Dante Alighieri, le premier à utiliser le terme de transhumanisme, pour décrire le dépassement de la condition humaine dans » la Divine Comédie”. Un transhumain serait un homme plus, un homme qui, fort de ses capacités augmentées par les évolutions techniques et scientifiques brave les contraintes naturelles, allant jusqu’à braver la mort. Mais définir le transhumanisme aujourd’hui c’est aussi démêler la maille interconnectée qui l’unit à la culture numérique.

Notre rapport à la mort a t il changé au spectre du transhumanisme, du mythe du double numérique et de la cryogénisation ?

Avec Antonio Casilli, sociologue et auteur de « Les liaisons numériques » nous retracerons le parcours historique de ce mouvement porté par des penseurs et rêveurs de l’homme du futur.

Le transhumanisme a-t-il pénétré la culture scientifique ?

Ce terme a fait surface de façon ponctuelle sans qu’il soit possible de reconstruire une ligne cohérente. Il y a toutefois des évocations du même concept de dépassement de la condition humaine. En 1950, le poète Thomas Stearns Eliot, emprunte le verbe « transhumaniser » dans son drame The Cocktail Party.

On est toujours dans le dépassement plus spirituel que corporel ?

Oui, c’est Julian Huxley, le frère de Aldous, qui publie dans les années 1950 un essai, “Transhumanism” dans lequel il commence à évoquer la possibilité d’atteindre une nouvelle phase de la condition humaine grâce aux avancés des techniques et des sciences. On dépasserait, alors, toutes les contraintes d’ordre organique.

Dans les années 1960, 1970, le concept sera récupéré par des penseurs visionnaires, tel Fereidoun M. Esfandiary. C’était un personnage haut en couleur, issu d’une famille de diplomates iraniens. Il avait décidé de changer son nom et se faisait appeler FM2030. Il avait une telle confiance dans ses propres théories, qu’il pensait qu’en 2030 on arriverait à la singuralité, c’est-à-dire au moment où on ne pourrait plus faire la différence entre l’homme et la machine. Etant mort 30 ans trop tôt, il s’est fait cryogéniser. Lorsqu’il utilise le terme « transhuman » dans un article publié en 1974, il s’impose comme une sorte de gourou. Ensuite, il a été proche d’un groupe de transhumanistes californiens, les extropiens. Ces derniers avaient développés une théorie selon laquelle, le monde et l’univers étant dominés par une lois d’entropie, de désordre, les être humains avaient pour responsabilité de développer l’extropie. De rétablir un ordre rationnel capable de faire avancer l’humanité et donc de la faire transhumaniser et posthumaniser. C’est pourquoi ils ont tout de suite trouvé des points communs avec le programme de FM2030.

« Puisque les nouvelles technologies étaient en train de se généraliser, le transhumanisme devenait peut être à la portée de tout le monde. »

Quel est le lien avec le Web ?

Les années 1990, c’est aussi le moment de l’essor du Web, et c’est à ce moment que l’histoire du transhumanisme se lie de manière inextricable avec celle du numérique. La revue Extropy commence à publier des articles présentant la possibilité de devenir transhumain grace aux technologies du virtuel de l’époque. En 1992, ils publient un article devenu une référence : « Persons, Programs, and Uploading Consciousness » de David Ross. C’était un article de fiction dans lequel un héros extropien, nommé Jason Macklin, décide de se faire télécharger dans le cyberespace pour rejoindre tout son entourage qui est déjà passé de l’autre coté. Il se fait scannériser et remodéliser dans le numérique. Il y a un description très précise de cette scène forte, où il se réveille transformé en avatar , et il regarde son corps mort. Aidé d’un chirurgien, il débranche alors les câbles qui tiennent en vie son corps organique. Il ne ressent presque rien en voyant les derniers soubresauts de son cadavre. C’est un moment fort de la cyberculture. Ces auteurs sont en train de mettre sur le même plan théorique le transhumanisme, l’avatarisation en 3D du corps et l’usage du web. C’est un peu la naissance de cette équation selon laquelle tout usager d’une technologie de l’information et de la communication qui s’appuie sur des représentations du corps en ligne serait en train de se transhumaniser. L’imaginaire technologique convoqué par FM2030 était peuplé de super-calculateurs et de laboratoires de biologie moléculaire. Par comparaison, Jason Macklin a besoin d’une technologie beaucoup plus simple. Puisque les nouvelles technologies étaient en train de se généraliser, le transhumanisme devenait peut être à la portée de tout le monde.

« Aidé d’un chirurgien, il débranche alors les câbles qui tiennent en vie son corps organique. Il ne ressent presque rien en voyant les derniers soubresauts de son cadavre. C’est un moment fort de la cyberculture. »

Cette fiction a une portée scientifique car elle s’appuie sur les écrits de Hans Moravec, qui publia en 1988, « Une Vie Après la Vie » (« Mind Children: The Future of Robot and Human Intelligence », Cambridge MA: Harvard University Press), dans lequel il décrit une expérience de pensée similaire à cette scéne. C’est plus ou moins à la même période, en 1994, qu’est mis en ligne le premier avatar médical, développé dans le cadre du Visible Human Project. Il y a donc toute une communauté de gens qui travaillent sur ces thématiques, avec des chercheurs qui donnent une caution scientifique à ce mythe du corps en ligne.

Dans toutes ces expériences, on parle du corps, mais on ne pose pas la question de l’âme, comment ce corps est il incarné ? En quoi, l’incarnation en un avatar, est encore humain ?

Justement là, il y avait une ambiguïté de fond… Pour qu’un être humain soit reconnaissable en tant qu’individu, suffit-il de stocker ses pensées ? Ou alors faut-il aussi stocker, en le modélisant sous forme d’avatar 3D, son corps ? On est face à un souci presque superstitieux de garder une apparence de corps. L’anthropomorphisme représente une polarité importante dans la culture des technologies de l’information et des communications. Car c’est rassurant pour l’usager. Ceci expliquerait, encore aujourd’hui, l’importance des smiley. Ou alors le recours à de nombreuses métaphores, notamment celle de l’inter-face, le fait d’être face à face, une rencontre entre deux visages. Cela rappelle Levinas et l’importance du visage pour faire l’expérience de l’Autre et ainsi, par l’altérité, définir sa propre humanité.

« Il ne faut pas faire d’amalgame entre le désir de perfectibilité du corps repandu chez les transhumanistes et l’eugénisme. »

Les transhumanistes sont parfois taxé d’eugénisme, une recherche de l’être parfait.

Max More, le chef de file des transhumanistes d’obédience extropienne, insiste sur le fait que le transhumanisme n’est pas une transposition de la version nazie du sur-homme de Nietzsche. Ce n’est pas la bête aryenne, le conquérant, le pillard. Selon ses dires, la santé, la confiance en soi des trans-hommes de demain, ira de pair avec leur qualités morales : la bienveillance, l’optimisme, la tolérance.

Il ne faut pas faire d’amalgame entre le désir de perfectibilité du corps repandu chez les transhumanistes et l’eugénisme. Natasha Vita More, avait créé en 2001 une installation web, Primo 3M+ – future physique. Un faux prototype du « corps du troisième millénaire », avec des superpouvoirs grotesques… flexibilité, endurance, performance et même une « communication vertébrale nano-assemblée ».

C’était un clin d’œil évident aux fantasmes hédonistes d’un corps beau et compétitif. Ces super propriétés sont associées à la performance sportive. A ce propos, les recherche de la philosophe, Isabelle Queval montrent, au travers d’ouvrages comme ”S’accomplir ou se dépasser” (Gallimard) que nous sommes tous poussé à dépasser nos propres limites. C’est notre transhumanisme quotidien.

Du coup quand on travaille le corps pour l’améliorer, on finit par devenir immortel ?

Oui l’enjeux de l’immortalité est central. Là on s’éloigne des extropiens, et on peut parler de tous le mouvement transhumaniste. C’est un mouvement vaste, transnational. Surtout il présente un éventail de positions politiques, d’idéologies très disparates. Parmi eux il y a pas mal de personnes qui sont passionnées par la life extension, ce domaine de la recherche biomédicale qui vise à retarder le vieillissement et la mort. Il ne s’agit pas seulement d’améliorer les conditions de vie, pour améliorer l’espérance de vie, mais de garantir à tout un chacun de vivre plus longtemps, jusqu’à 120, 150 ans et pourquoi pas d’éradiquer la mort tout court. Pas mal de transhumanistes sont aussi passionés de cryogénie, parfois ils sont des investissuers ou des clients d’Alcor, la multinationale spécialisée en cryopréservation des corps humains. Mais c’est encore très cher, donc même ceux qui peuvent se le permettre, ne cryogénisent que leur tête. Là on se retrouve face à la superstition ancienne : quel traitement réserver au cadavre ? Dans les sociétés occidentales, l’intégrité du cadavre est une composante importante des pratiques mortuaires et des croyances qui y sont associées. Contrairement à d’autres traditions, comme pour l’hindouisme, il n’y a pas de rituel funéraire de morcellement du corps.

« Il y a une relation de correspondance très forte dans la tradition transhumaniste entre l’idée de vivre éternellement et l’idée de vivre en tant qu’alter-ego numérique. »

Et d’un point de vue pratique, le fait d’être cryogénisé, et de se trouver dans une situation où au moment même où l’on meurt, des hommes en blouse blanche arrivent avec une scie et nous coupent la tête, c’est vraiment quelque chose d’inquiétant. Il me semble que la vidéo de la cryogénisation de Timothy Leary, qui était très violente, a impressionné les personnes qui l’ont vu, et a introduit un élément de méfiance. C’est pourquoi les transhumanistes aujourd’hui ont une attitude extrêmement ambivalente à l’égard de cette démarche. Et cela va au delà de leur foi dans la possibilité d’être un jour ressuscités.

N’y a t’il pas une dichotomie entre l’immortalité par la cryogénisation, et ce fantasme de l’avatarisation ?

Au contraire, je dirai qu’il y a une continuité. Le sens que je cherche à donner à cette restitution historique, est justement qu’il y a une relation de correspondance très forte dans la tradition transhumaniste entre l’idée de vivre éternellement et l’idée de vivre en tant qu’alter-ego numérique. Parce que, à un moment historique, dans les années 1990 il y a eu cette confluence, cette fixation entre deux thématiques, grâce à cette idée de l’uploading, du télèchargement du corp et de sa modélisation 3D. Même si c’était un mythe, le fait de vivre éternellement en tant qu’être virtuel était présentée comme la démarche à la portée de tout le monde parce que se connecter à internet était à la portée de tout le monde.

Au regard de nos pratiques sur internet ?

Ces mythes correspondaient à une phase utopique de la culture des technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, tout le monde s’est rendu compte que même les usagers qui possèdent un avatar sur Second Life ne sont pas là pour vivre éternellement. On s’est très très vite heurté à la réalité des faits. Nous avons à faire à des technologies qui sont techniquement limitées. Nous vivons un moment historique dans lequel, malgré l’analyse très pertinente d’Evgeny Morozov, « l’illusion internet » ( « The Net Delusion » ) nous a abandonné. Les grands mythes tombent. Même si la phase utopique de la culture numérique est passée, les transhumanistes continuent à exister, à être extrêmement actifs. Il ne faut pas penser les transhumanistes comme inextricablement liès aux TIC. Ils ont tout un éventail technologique sur lequel ils travaillent , ils investissent, et en lequel il posent leur confiance. Par exemple, ils ont beaucoup travaillé sur les nanotechnologies, sur les questions de bio-éthique. Et puis encore une fois, il y a aussi cette question de comment garantir à un nombre croissant de personnes des enjeux de justice sociale.

« Aujourd’hui, tout le monde s’est rendu compte que même les usagers qui possèdent un avatar sur Second Life ne sont pas là pour vivre éternellement. »

En quoi peut-on rattacher la culture transhumaniste à des mouvances qui ont influencé la culture du numérique ?

H+ est vraiment très associé à la situation américaine, d’ailleurs, c’est Remi Soussan qui avait souligne cet élément : le rédacteur en chef de H+ est un personnage que j’ai interviewé, et dont je reconnais l’importance historique. Il s’appelle Ken Goffman mais est plus connu comme RU Sirius. Mais si tu le lis en anglais ça veut dire “es tu sérieux”,”are you serious ? “. Au de là du petit jeu de mots contenu dans son nom, ce monsieur était à l’initiative de la publication de référence de la cyberculture californienne dont le titre était Mondo2000. C’était THE magazine du virtuel au tout début des années 1990, avant Wired. Ils avaient un discours ultra radical, sur l’importance de la virtualité, du numérique etc. Il y a une continuité entre les transhumanistes d’aujourd’hui, leur envie de se légitimer, et ce coté un peu freak, babacool mais très attentif aussi aux avancées technologiques.

Les transhumanistes sont des babacools ?

RU Sirius et ses collègues de Mondo2000 étaient les défenseurs d’une mouvance New Age, où il y avait un mélange joyeux de « disciplines orientales », mysticisme, homéopathie, yoga, drogues psychédéliques. Tout ça mélangé dans un énorme bouillon philosophique. Ces thématiques New Age, on les retrouve mais sublimées, recouvertes d’une espèce de coque technologique. Il sont encore aujourd’hui à la base du transhumanisme actuel. C’est un peu le sang qui coule dans les veines du transhumanisme. Cette pensée, au fond, extrêmement liée au mysticisme, extrêmement soucieuse des questions l’âme, de son amélioration. Mais qui déguise ces soucis par un discours technologique, scientiste et matérialiste…

En fait notre rapport à la mort ne change pas ?

Non, ça ne change pas. Nos superstitions vis-à-vis de la mort sont encore là. Si on regarde le transhumanisme, et si on l’appréhende comme un mouvement transnational, avec différentes composantes, on se rend compte qu’il est enraciné dans le contexte social dans lequel il se développe. Le transhumanisme français et européen n’aura jamais de la même texture que celui que l’on peut rencontrer aux Etats Unis ou en Angleterre. La question philosophique fondamentale est « à qui appartient le corps humain ? ». Evidemment, dans la pensée libérale anglosaxonne, c’est à l’individu même que revient cette propriété. Ce qu’il est possible de faire avec son corps avant ou après la mort est complètement conditionné par un contexte qui n’est pas seulement culturel, mais aussi légal, et institutionnel au sens large du terme. Dans certains pays, il est même difficile d’avoir accès à la procréation assistée. Je pense à l’Italie : imaginez ce que l’Eglise et la droite traditionaliste penseraient d’une démarche comme la cryogénisation ! Ce n’est pas anodin, ce n’est pas simple et cela doit se négocier avec notre contexte social. Est ce que la sécurité sociale va payer les nanotechnologies qui permettrons de vivre jusqu’à 250 ans ? Pendant combien de temps vais-je cotiser ? Est ce que je dois travailler 35 heures si je suis un transhumain aux capacités cognitives sur-développées ? Ce sont des questionnements que je pose sur un ton un peu ironique, mais les réponses sérieuses à ces questions nous amènent à repenser le politique dans lequel notre rapport à la vie et à la mort s’inscrit.

Que peut-on en conclure ?

Finalement, on ne peut pas omettre le fait que notre attitude vis-à-vis de la mort a été batie sur deux millénaires de christianisme. Nous avons donc hérité de ces traditions et de ce que l’on peut se permettre de penser par rapport à la mort. Il y a certaines des possibilités proposées par les transhumanistes qui nous paraissent plus acceptables que d’autres. C’est pourquoi le mythe de l’avatar à un moment donné, nous est apparu préférable à la cryogénisation, parce que cette dernière nous mettait face à un interdit majeur de l’usage du corps mort. Le morcellement du corps n’est pas complètement acceptable, alors que l’avatarisation du corps est parfaitement cohérente avec un imaginaire chrétien qui nous renvoie à Saint Thomas, à la tradition du « corpus gloriosum » du Moyen Âge.

Retrouvez tous les articles du dossier #jesuismort de Silicon Maniacs :

>> Illustration FlickR CC : rizzato

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Autopsie de l’immortalité http://owni.fr/2011/02/06/autopsie-de-l%e2%80%99immortalite/ http://owni.fr/2011/02/06/autopsie-de-l%e2%80%99immortalite/#comments Sun, 06 Feb 2011 16:00:04 +0000 Richard Grandmorin http://owni.fr/?p=45216

Cet article a été publié initialement sur Silicon Maniacs.

Owni.fr, l’Atelier des médias et Silicon Maniacs organisent une soirée ludique #jesuismort avec débats, réflexions et expériences autour de l’immortalité à l’ère numérique le 9 février 2011 à La Cantine (Paris).

#jesuismort est un événement multicanal et exploratoire de nouvelles formes médiatiques mêlant web, radio, vidéo, flux, automations, applications webs et réseaux sociaux. Il est organisé dans le cadre de la Social Media Week.

Les pistes pour une potentielle immortalité sont nombreuses : allongement de la vie, clonage, mind uploading ou encore mobilisation des archives personnelles sont autant de techniques possibles. Selon les prédictions les plus optimistes, les immortalités biologiques et numériques devraient toutes nous être accessibles dans le courant du siècle. Au sein de cette concomitance, la plus rapidement démocratisée sera sûrement l’immortalité Facebook.

Immortalité biologique versus numérique

L’immortalité n’est rien d’autre que la continuité de nos informations et de nos fonctionnalités dans le temps. Cet objectif peut être assuré par 2 stratégies : le maintien du substrat ou le transfert vers un nouveau. Les espoirs du premier cas reposent sur la médecine et les prophéties d’Aubrey de Grey selon qui nous pourrions être les premières générations à atteindre l’âge de 1000 ans.

Dans le cas des transferts de substrats, l’immortalité est dégradée (perte d’information et/ou perte de fonctionnalité) :

  • l’immortalité numérique ne retranscrira pas avant longtemps la complexité de notre cerveau ni notre interaction avec le monde
  • le clonage ne transmet que l’information génétique (l’intérêt est donc relativement limité).

Certes le transfert nous fait perdre en définition, mais on gagne en robustesse notamment grâce à la possibilité de faire des sauvegardes. Même si la médecine nous garantissait un allongement éternel de la vie, nous ne serions pas à l’abri d’un simple accident de voiture. L’immortalité biologique et numérique sont donc des opérations complémentaires.

Le mind uploading

Le mouvement transhumaniste s’est très vite emparé de l’ idée de télécharger une personnalité dans un substrat non-biologique (mind uploading). L’ordinateur reconstituerait l’esprit d’un individu par la simulation de son fonctionnement. Les avancées dans les domaines des neurosciences, de l’informatique et le flair de Ray Kurzweil laissent présager l’existence de systèmes d’intelligence artificielle capables de modéliser le fonctionnement du cerveau dans une quinzaine d’années.

Sébastien Seung déclare que, par analogie avec le génome, le connectome est une carte de la structure du réseau neuronal d’un cerveau. L’ensemble de ses connexions synaptiques y sont retranscrites. Le mind uploading repose sur le postulat du connectome comme support de l’information : nos souvenirs, expériences, pensée seraient codés uniquement par la structure du réseau neuronale. Autrement dit, la disposition et le poids des connexions entre neurones serait responsable du codage de l’information. Pour reproduire une conscience humaine et donc accéder à l’immortalité, il suffit de cartographier le réseau neuronal et de le modéliser sur un ordinateur.

Les limites techniques

L’immortalisation doit donc passer par un recensement complet des connexions synaptiques du cerveau. Pour l’heure, la cartographie des neurones est un facteur techniquement limitant. Les techniques de scanning ont des résolutions de l’ordre du neurone (0,1 mm), or il faut descendre jusqu’aux synapses (0,001 mm).

La deuxième limite est informatique : modéliser 100 milliards de neurones et 1014 connexions demande des capacités de calcul énormes. Mais en extrapolant la loi de Moore on prédit la fin de la contrainte informatique pour 2018. En 2007, le Blue Gene (l’un des plus puissants ordinateurs du monde) modélisa 1 seconde d’activité de 10 000 neurones (et 108 connexions) avec 10 secondes de calculs.

Faisabilité

Les premiers résultats seront forcément dégradés car il ne prendront pas en compte l’ensemble des interactions ioniques ou hormonales qui peuvent influencer le cerveau. Mais l’absence de ces interactions permettrait peut être d’obtenir un cerveau plus raisonnable.

Le mind uploading (et l’immortalité qui va avec) bénéficie des enjeux économiques et scientifiques de la simulation informatique du cerveau humain dont les applications sont nombreuses :

  • modélisation de l’activité d’un médicament ;
  • modélisation du développement des maladies neuro-dégéneratives
  • modélisation des maladies mentales (dépressions, psychoses, etc… )
  • connaissance du cerveau

Les financements publics et privés sont donc conséquents, ce qui laisse présager un développement technologique rapide.

La mobilisation des archives personnelles

Puisqu’il est difficile de cartographier la chaîne cognitive et ses 1014 connexions, une des solutions serait de la reconstituer par apprentissage. Au lieu de recréer exactement le réseau neuronal d’un individu on va plutôt essayer de créer la chaîne logique en se basant sur la lecture d’archives. Il en résultera un avatar aux réactions identiques. On estime que la vie entière d’un individu (ce qu’il voit et entend, ce qu’il lit, ce qu’il dit) ne devrait pas passer 1 TerraByte de stockage (selon Microsoft Research), ce qui est techniquement envisageable. On pourrait toutefois commencer plus humblement en compilant nos activités sur les réseaux sociaux et notre boîte email.

L’immortalité : une application Facebook

Imaginez votre compte Facebook après 40 ans d’activité : toutes vos blagues, commentaires, messages, articles partagés, etc.. représenteront une masse de données descriptives considérables sur vos goûts, votre façon de penser, votre logique, vos intérêts, votre histoire, vos valeurs, etc.. Après une formalisation et une analyse sémantiques de ces contenus, on obtient votre portrait.

La formation de la chaîne logique résultera probablement de l’apprentissage d’un réseau de neurones artificiels ou d’un dérivé plus puissant. On retrouve leurs applications depuis plus de 10 ans dans de nombreuses disciplines (sciences économiques, biologie, environnement, etc..) comme outil de prédiction ou de reconnaissance. Les réseaux de neurones artificiels ont la propriété de s’organiser automatiquement pour répondre au mieux à la tâche demandée. En 2007, je fus amené à collaborer à la réalisation d’un réseau des neurones pour la modélisation des effets d’un barrage contre les inondations. L’apprentissage consiste à établir des valeurs pour chacune des connexions entre neurones en confrontant les entrées avec les sorties. Dans le cas du barrage, les entrées étaient le débit en amont, la réserve du barrage, et la hauteur de la retenue. Les données de sortie étaient le débit en aval.

En faisant passer des entrées/sorties dans réseau de neurones, on obtenait progressivement une simulation quasi parfaite du débit aval. Au bout de 1000 valeurs, l’apprentissage donnait des résultats très convenables : les courbes des valeurs simulées et réelles se confondaient, les connexions entre neurones étaient correctement pondérées. Pour affiner le réseau, nous avions poussé l’apprentissage jusqu’à 7000 valeurs.

Simuler un esprit humain est évidemment bien plus complexe et nécessite un réseau de neurones beaucoup plus conséquent, mais le concept reste le même: pondérer chaque connexion en confrontant des valeurs entrées et sorties. A la place des débits de rivières, nous utiliserons des données sémantiques.
pour résumer :

semantic analysis + social internet use + Artificial Intelligence = immortality

Certes le pan sémantique reste un facteur limitant, mais l’immortalité Facebook sera toutefois la plus rapidement abordable et démocratisée car :

  • les réseaux sociaux pourrait facilement constituer une bonne base d’archives car ils sont très répandus au sein des populations et reflètent notre comportement social
  • la sémantique fait d’énormes progrès (car les enjeux économiques sont énormes avec la publicité contextualisée) ;
  • l’intelligence artificielle se développe rapidement
  • cette technique ne repose sur aucune contrainte biologique puisque la reconstruction du réseau neuronal se fait progressivement par apprentissage des archives
  • les besoins en puissance informatique sont moins importantes que le mind uploading et sa reproduction complète du connectome

En attendant, National Science Foundation a récompensé d’une bourse de 500 000 $ les universités de Central Florida à Orlando et de l’ Illinois à Chicago pour « l’exploration et l’utilisation de l’intelligence artificielle, de l’archivage et de l’imagerie numérique afin de créer des copies digitales de personnes réelles comme première étape à l’immortalité virtuelle« .

Les applications de l’immortalité Facebook

L’immortalité Facebook sera pour longtemps une continuité fortement dégradée d’un individu. Le mind uploading est beaucoup plus prometteur en termes de qualité avec la restitution de la conscience (comme son nom le laisse entendre). Quelle qu’elle soit, la technologie risque de poser des problèmes éthiques. Il est évident que les premières applications d’immortalité Facebook ne porteront pas leur nom pour des raisons marketing : elles seront utilisées uniquement du vivant de leurs utilisateurs pour des raisons psychologiques (travail de deuil pour les proches). On parlera d’Archives Actives, de second life+ , de MyLife… et puis (bien après) d’immortalité.
De ce fait, il est intéressant de se pencher sur les applications proches (et détournées) de l’immortalité Facebook:

  • Le Alain Minc search
    Des sociétés en conseils pourront créer de moteurs de recherches pour répondre à des questions stratégiques en s’appuyant sur des archives de sages ou d’intellectuels.
  • Le mappage politique individuel
    Des sociétés en conseils pourront créer de moteurs de recherches pour répondre à des questions stratégiques en s’appuyant sur des archives de sages ou d’intellectuels. Des applications permettront d’analyser la proximité des programmes politiques des partis avec votre profil numérique et ainsi vous conseiller pour un vote.
  • Le mappage politique collectif
    Les adhérents d’un parti politique pourraient partager leur profil numérique, ce qui permettrait de définir une ligne directrice au parti en sommant automatiquement l’ensemble des valeurs de ses membres.
  • La modélisation de la démocratie
    En généralisant le mappage collectif à l’ensemble de l’électorat d’un pays on peut modéliser l’acceptabilité de reformes ou propositions de loi.
  • L’aide à la prise de décision : qu’aurais je fait?
    Sur le même principe que le Alain Minc search, mais avec ses propres archives.
  • Les Love comparateurs
    sites de rencontres basés sur l’analyse de la compatibilité amoureuse entre profils numériques
  • Lady Gaga en Tamagotchi
    S’occuper d’un ami numérique possédant la personnalité d’une célébrité.
  • Le paradis numérique (immortalité)
    Un site du genre Second Life permettrait de laisser évoluer des profils numériques de personnes décédées. La famille et les proches pourraient se loguer afin de converser avec le défunt.

Pour aller plus loin :

Retrouvez tous les articles du dossier #jesuismort de Silicon Maniacs :

>> Illustration FlickR CC : minifig

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http://owni.fr/2011/02/06/autopsie-de-l%e2%80%99immortalite/feed/ 18
La e-mémoire: rêve transhumaniste ou cauchemar déshumanisé? http://owni.fr/2011/01/17/la-e-memoire-reve-transhumaniste-ou-cauchemar-deshumanise/ http://owni.fr/2011/01/17/la-e-memoire-reve-transhumaniste-ou-cauchemar-deshumanise/#comments Mon, 17 Jan 2011 12:20:45 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=42747 En fondant la Bibliothèque d’Alexandrie en 288 avant JC, Alexandre le Grand nourrissait le projet fou de conserver tout le savoir de l’humanité depuis l’invention de l’écriture à Sumer et Babylone. Sous l’empire romain et au plus haut de sa gloire, cette merveille de l’Antiquité compta jusqu’à 700.000 volumes sur papyrus et parchemins…avant d’être détruite et pillée par les disciples chrétiens du dernier des Ptolémée en l’an 642 comme le raconte le récent peplum Agora. Les savants et philosophes furent expulsés et toute cette mémoire partit en fumée, plongeant le monde dans l’éclipse intellectuelle et scientifique du bas moyen-âge. A l’époque nulle copie de sauvegarde n’était disponible…

Mais quinze siècles plus tard, le saut technologique quantique permis par la révolution numérique rendrait presque palpable le rêve de garder pour l’éternité la mémoire de chaque être humain né sur cette Terre !

L’homme est poussière et retournera à la poussière, mais ses souvenirs resteront gravés sur silicium dans une quête si humaine d’éternité. Les pharaons et Alexandre en rêvaient…Microsoft va le faire.

C’est en tous cas le projet fou de Gordon Bell, un chercheur vétéran de la firme qui a entrepris en 1998 de numériser tous ses écrits, puis d’archiver sur disque dur chaque jour de sa vie en photographiant, scannant, enregistrant méthodiquement tout ce qu’il voyait, mangeait, lisait ou ressentait. Baptisé MyLifeBits (Mes bouts de vie), cette vaine tentative de se constituer une e-mémoire est devenue un livre, qui vient de sortir en France chez Flammarion sous le titre Total Recall. Une allusion bien sûr au film de Paul Verhoeven adapté d’une nouvelle du grand Philip K.Dick (We can remember it for you wholesale).

Sauf que dans le film, la société Rekall vend des faux souvenirs qu’elle implante dans la mémoire de ses clients. Alors que Gordon Bell et son assistant Jim Gemmell prétendent vous aider à vous constituer votre propre mémoire électronique avec un véritable manuel : « imaginez que vous ayez accès, d’un simple clic, à toutes les informations reçues au cours de votre vie », résume l’incontournable Bill Gates qui préface le livre.

Se souvenir jusqu’à ne plus pouvoir vivre

Mais avant d’en arriver là, il vous faudra donc :

1. vous équiper du matos nécessaire (ordinateur, scanner, smartphone faisant appareil-photo-vidéo-GPS…)
2. numériser et sauvegarder maniaquement toutes vos archives personnelles (carnets d’adresse, documents administratifs, photographies, livres lus, musiques écoutées, mails échangés etc…)
3. vous convertir (ainsi que vos proches, votre employeur etc…) au « lifelogging », à savoir l’enregistrement en continu de votre quotidien sous forme de photos, fichiers audio, vidéos, parcours GPS…)
4. Et ce n’est pas le moins fastidieux, organiser soigneusement votre « e-mémoire » en classant le tout suivant une arborescence chronologique parfaite.

Explication rapide dans cette vidéo promotionnelle made in Microsoft:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Oui, imaginez un truc de dingues qui vous empêche finalement de vivre votre vie, de goûter l’instant présent, de savourer le fragile instant de bonheur d’une caresse de soleil sur le visage au premier jour du printemps car vous serez trop occupés à shooter les premiers bourgeons sur les arbres, ces gosses qui jouent devant vous, cette grappe de jeunes filles en fleur, tout en parlant tout seul pour noter-enregistrer vos impressions ! Qui n’a pas expérimenté l’impression de passer à côté de l’instant à force de trop vouloir le capturer en photo ou vidéo ?

Bien sûr Gordon Bell nous promet pour bientôt une automatisation de ce fastidieux processus de sauvegarde mémorielle à force de mini-caméra incorporée aux vêtements, de GPS intégré à votre terminal portable préféré permettant de restituer fidèlement vos impressions et vos sentiments, de retracer vos moindres pas.

Mais au fait à quoi rime tout cela ? Que fera-t-on vraiment de cette masse de souvenirs numérisés ? L’auteur avoue avoir stocké 261 gigaoctets sur son unité centrale, plus une centaine d’autres gigaoctects sur des serveurs extérieurs…Plus qu’il n’en aurait fallu pour sauver la bibliothèque d’Alexandrie consacré à un seul homme, si brillant soit-il ? N’est-ce pas un peu vain et pathétique ? Sauf à en faire un happening artistique et politique comme Hasan Elahi, qui soupçonné à tort d’activités terroristes aux etats-Unis, a décidé d’enregistrer sa vie en life-logging. Un geste militant en forme de pied de nez à la surveillance dont il est l’objet. A lire ici sur OWNI.

La numérisation : abolition du choix ?

Et un souvenir numérique vaut-il vraiment un vrai souvenir palpable ? La sensation d’un joli galet rond roulant dans votre main en souvenir d’un weekend en amoureux avec la femme de votre vie… est-ce que cela peut-être digitalisé ? Est-ce que cela tient sur une clé USB ? Et puis comment gérer cette fantastique masse de données sans l’oublier…ou devenir fou de nostalgie, obsédé par le passé, incapable de vivre dans l’instant présent ?

Dans une récente critique consacrée à ce livre Total Recall, Le Monde évoquait la nouvelle de Borgès “Funes ou la mémoire”: ou comment un jeune homme acquiert par accident le don de mémoire totale et en perd la raison, incapable de penser et vivre sa vie au présent tout en gérant ses souvenirs infinis…

Alors faire œuvre de mémoire oui, bien sûr. Mais pas de manière industrielle, robotisée, déshumanisée…Dans ce récent billet, Autant en emporte nos images, je disais ma nostalgie de la photo argentique qui obligeait à choisir minutieusement l’instant, la pose, l’exposition, la vitesse d’obturation pour faire LE cliché souvenir qui vous fera sourire encore dans 20 ans: « nous prenions des clichés pour garder le souvenir d’une bulle spatio-temporelle de bonheur, laisser un témoignage de nos fragiles existences, transmettre la mémoire familiale, témoigner de l’histoire en train de se faire…bref sourire à la vie et dire merde à la mort… ».

Aujourd’hui ce n’est plus pareil, ça change, ça change comme chantait Boris Vian dans la Complainte du Progrès :

Prendre non pas une, mais dix mais cent photos sans y penser. Les transmettre en quelques secondes d’un appareil numérique ou d’un smartphone sur l’écran d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléviseur. Faire défiler paresseusement des centaines de clichés, stockées sur son PC, cocher ce qui nous plait, retoucher le cliché comme un chirurgien photoshop de l’image, diffuser une beuverie d’un soir ou un souvenir de vacances sur le réseau d’un clic et l’oublier immédiatement…

Pardon je m’autocite encore.

Le risque d’une e-surveillance consentie

Mais tout à son scientisme geek béat, Gordon Bell balaye, zappe presque toutes ces interrogations :

Total Recall va bouleverser le fait même d’être humain. A terme, l’avènement de ce programme constituera pour la prochaine génération un changement aussi important que l’ère numérique l’a été pour la notre.

Et nous revoilà partis dans le délire flippant de la « transhumanité » cher à Google, le meilleur ennemi de Microsoft…il n’y a pas de hasard. « Ce que nous essayons de faire c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu’ils n’arrivent pas à faire bien (…) Google veut-être le troisième hémisphère de votre cerveau », prophétisait récemment le patron de la Firme, Eric Schmidt. J’en parlais dans ce billet.

Pire l’auteur, qui dit avoir eu l’idée de MyLifeBits pour se « débarasser totalement du papier », élude carrément la question centrale de la possibilité d’une e-surveillance de nos vies numérisées par l’Etat et ses pseudopodes policiers arpenteurs du Net: « Comment ne pas craindre, par exemple, que le gouvernement nous espionne par le biais de nos e-souvenirs ? », se demande-t-il benoîtement. Comment en effet ne pas craindre d’être fliqué jusque dans notre intimité mémorielle quand déjà les caméras de surveillance scrutent nos villes et nos vies comme autant d’yeux inquisiteurs (voir la carte des 1300 nouvelles caméras prévues en 2011 à Paris sur OWNI?

Et bien Gordon Bell et son co-auteur Jim Gemmel ne craignent pas Big Brother et son Brave New World. Normal, ils travaillent pour Microsoft. Ils nous promettent la main sur le coeur un Little Brother qui serait chacun d’entre nous:

La face démocratique d’une société de surveillance globale dans laquelle les moyens d’enregistrement, au lieu d’être aux mains d’une autorité centrale unique, sont partagés entre des millions d’individus.

Tu parles Charles, moi je préfère garder mes souvenirs pour moi. Et si possible sous forme de vraies choses analogiques: une photo prise à Paros dans les Cyclades un été 1990 où le bleu Klein de l’azur claque sur la blancheur des maisons chaulées; le galet rond d’Etretat dont je vous parlais plut haut; un brin de lavande cueilli un jour en montagne par ma fille aînée; une mèche des cheveux blonds de sa cadette; un instant à deux rayonnant de lumière sur le toit de la maison Gaudi à Barcelone…et tant d’autres choses palpables, exhalant un parfum de douce nostalgie, un moment de bonheur, de grâce ou d’amour que jamais la numérisation ne pourra exprimer autrement que par une pâle copie fantôme.

“Après votre mort, le corpus d’informations ainsi constitué permettra même la création d’un « vous » virtuel. Vos souvenirs numériques et les traits de votre personnalité, sous forme fossilisée, formeront un avatar avec lequel les générations futures pourront converser”, fantasment les auteurs.

Ou comment accéder au désir si humain d’immortalité, le vieux rêve d’Alexandre et de Pharaon, la boucle est bouclée. Pour ma part, je ne sais si j’ai envie de finir sous forme d’hologramme 3D, radotant méthodiquement ma vie fossilisée dans un cimetière numérique. Je préfèrerais je crois laisser des choses de moi comme un jeu de piste, des écrits, des photos, des vidéos façon puzzle. A exhumer patiemment, sûrement pas en un clic. Si cela intéresse l’un de mes descendants ou quelqu’un d’autre. Et si demain surtout, on a encore la patience de donner le temps au temps des souvenirs…

Billet publié originalement sur le blog Sur mon écran radar sous le titre “Total Recall”, votre vie numérisée pour l’éternité ?

Photos FlickR CC : Amy Halverson ; Jurvetson ; Tony Hall.

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http://owni.fr/2011/01/17/la-e-memoire-reve-transhumaniste-ou-cauchemar-deshumanise/feed/ 0