Supprimer l’ISF pour récompenser la paresse

Le 18 novembre 2010

En proposant un impôt sur les revenues sur patrimoine pour remplacer l'ISF, Nicolas Sarkozy fait un merveilleux cadeau aux rentiers et consacre le « travailler moins pour gagner plus ».

Notre président a des intentions claires pour réformer la fiscalité française. Supprimer l’Impôt sur la Fortune et le remplacer par :

un nouvel impôt sur le patrimoine dont l’idée est la suivante : l’erreur faite dans les années passées, c’était de taxer le patrimoine alors qu’il vaut mieux taxer les revenus du patrimoine et les plus-values du patrimoine […] C’est l’axe de la réforme que nous allons engager

L’impôt sur les revenus du capital : la prime aux rentiers

Un petit rappel. L’impôt sur la fortune est un impôt dont le principe est efficace. Considérons, comme le faisait F. Meunier, un individu qui détient un patrimoine de 100 millions d’euros. Il peut gérer son patrimoine de trois façons. Il peut faire des efforts, et celui-ci lui rapportera 6% annuels. Il peut modérer ses efforts, et gagner seulement 3% annuels. Ou alors, il peut être paresseux et dispendieux, auquel cas son patrimoine ne lui rapporte aucun intérêt annuel.

Introduisons maintenant un impôt sur le capital, correspondant à 1% du patrimoine total détenu. Chacune des stratégies-ci dessus implique le même montant d’impôt payé : un million d’euros annuels. La stratégie de l’effort intense rapporte désormais 5 millions d’euros. Celle de l’effort modéré, 2 millions d’euros. La stratégie dispendieuse, quant à elle, conduira l’individu à perdre un million d’euros par an. Les finances publiques reçoivent trois millions d’euros (en comptant trois individus appliquant chacune des différentes stratégies).

Remplaçons maintenant cet impôt sur le capital par un impôt sur les revenus du capital. Pour que ce remplacement soit neutre pour les finances publiques, chacun pourra vérifier qu’il faut un impôt de 33% des revenus du patrimoine. Dans cette situation, la stratégie courageuse rapporte désormais 4 millions d’euros. La stratégie de l’effort modéré laisse un gain inchangé, de deux millions d’euros. Le dispendieux paresseux, quant à lui, ne paiera aucun impôt. Le total collecté par l’Etat sera toujours de trois millions d’euros.

Mais vous le voyez tout de suite : les conséquences distributives de l’opération ne sont pas du tout neutres. En effet, celui qui dans cette situation paie le plus d’impôts est celui qui fait le plus d’efforts pour rendre son patrimoine productif. Celui qui à l’inverse le laisse en jachère, est le grand bénéficiaire de cette transformation.

Encourager la vieille tradition française du capitalisme d’héritier

Ce résultat est on ne peut plus connu en économie de la fiscalité. Un impôt sur le patrimoine peut être assimilé à un impôt forfaitaire, qui est déterminé indépendamment de l’usage fait du capital : le propriétaire de capital est donc incité à le rentabiliser. Un impôt proportionnel sera moins incitatif. Si l’effort à fournir pour rentabiliser le capital à hauteur de 6% est important, notre capitaliste se dira qu’il vaut mieux pour lui fournir l’effort limité. Alors qu’avec l’impôt sur le patrimoine le fils à papa dispendieux constatait que sa vie dissolue conduisait son patrimoine à diminuer, ce qui pouvait l’inciter à passer sa licence faire des efforts, désormais, cette pression n’existe plus.

Cette efficacité économique apportée par l’ISF avait déjà été sérieusement rognée par le bouclier fiscal et les multiples et abondantes niches fiscales. On peut noter également que l’analyse ci-dessus est trop simple. Elle devrait inclure d’autres effets incitatifs : l’incitation à l’expatriation ou l’évasion fiscale, qui n’est sans doute pas très grand, contrairement aux idées reçues); le fait que des techniques d’optimisation fiscale (par exemple en versant un peu moins de dividendes) permettent de corriger cet effet. Pour ces raisons, F. Meunier en concluait qu’il vaudrait mieux supprimer et bouclier fiscal et ISF, quitte à attendre qu’un gouvernement de l’autre bord le remplace « par une façon plus intelligente de faire payer le patrimoine ».

Il n’en reste pas moins que cette réforme, si elle est mise en place, reviendra premièrement à favoriser une tare typiquement française : encourager le capitalisme d’héritiers, cette conception très XIXe siècle dans laquelle les manants entreprenants ne doivent pas s’enrichir : seuls ceux qui disposent d’un gros capital et l’accumulent (ou en héritent) sont dignes d’être considérés comme des élites nationales. Il ne sera plus nécessaire, pour entretenir le manoir familial, de le louer à quelques périodes de l’année à un prix dérisoire pour acquitter l’impôt. Il faut dire que cela risquait de faire venir des gens pas convenables.

La victoire du « travailler moins pour gagner plus »

La seconde conséquence de cette réforme, ce serait une bien curieuse inversion de la formule qui a fait tout le succès de l’élection présidentielle de 2007 : travailler plus pour gagner plus. Il est vrai que les moyens de politique économique utilisés pour cela ont largement échoué. La défiscalisation des heures supplémentaires est un échec tout aussi coûteux que retentissant, Le RSA, sensé inciter les pauvres à travailler plutôt qu’à rester dans une culture d’assistanat, est entré de plein fouet dans le mur d’une crise économique qui restreint considérablement les possibilités de travailler tout court. Il va falloir songer à d’autres modes d’indemnisation (à ce propos, un petit lien pour les geeks).
Bref, « travailler plus pour gagner plus » est sérieusement écorné par le remplacement d’un mécanisme incitant au travail par un mécanisme qui récompense la paresse. Le nouveau slogan, promis à n’en pas douter à un bel avenir, est désormais « travailler moins pour gagner plus ».

Billet initialement publié sur le blog des Econoclastes sous le titre Travailler moins pour gagner plus.

Photos FlickR CC @ Alex ; Malcolm Jackson ; Powerhouse Museum.

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