Les data en forme

Le 7 mai 2012

Cette semaine la veille des journalistes de données d'OWNI vous met l'eau à la bouche avec des projets en lice pour les Data Journalism Awards 2012. La crème de la crème des applications de data journalism produites à travers le monde et prochainement récompensées. Au total, 57 exercices qui décrivent une nouvelle manière de penser l'information. Et rendent toujours plus désirables les politiques publiques d'ouverture des données.

Circonstance exceptionnelle pour un événement pas banal, c’est au festival international du journalisme de Perugia, en Italie, qu’a été dévoilée vendredi la liste des 57 nominés pour le “Prix du journalisme de données”, ou Data Journalism Awards. L’éminent jury de ce prix, présidé par Paul Steiger, fondateur de ProPublica, et dans lequel figurent notamment des précurseurs du “ddj” tels que Wolfgang Blau (Zeit Online) ou Aron Pilhofer (New York Times), aura la tâche rude de sélectionner six vainqueurs après la réception de plus de 300 projets issus des quatre coins du monde et d’annoncer le résultat le 31 mai au cours du News World Summit à Paris. Organisée par le Global Editors Network (soutenu par Google) et le Centre européen de journalisme (EJC), la compétition – ouverte à candidature depuis le 19 janvier – a fermé les vannes le 11 avril dernier. Elle couvre trois catégories qui contiennent chacune trois prix – dont le premier est attaché d’une récompense de 7 500 euros : le journalisme d’investigation soutenu par la donnée, la visualisation de données et la narration, les applications web et mobile autour de la donnée.

Accordant aux 57 nominés tout le crédit qu’ils méritent au titre de l’effort fourni pour faire avancer la science, l’équipe des Data en forme a choisi cette semaine de vous présenter ceux qui nous semblent répondre le mieux aux exigences du journalisme de données tel que nous le concevons, en encourageant naturellement le lecteur a parcourir lui-même le labyrinthe de projets pour son propre plaisir.

Savourons donc les neuf projets qui nous ont fait la meilleure impression.

Ich bin ein Berliner

Soulageant la curiosité des citoyens germanophones férus de politique, “The 149 members of the 17th Berlin Parliament” est une cartographie inventée par le Berliner Morgenpost qui permet de fureter au sein du Parlement fédéral berlinois et de rencontrer virtuellement ses 149 locataires actuels. Avec sa base de données hébergée dans un tableur en ligne Google (méthode très largement utilisée chez OWNI aussi), l’application permet de filtrer ce beau monde par parti, par circonscription, par commission, par origine, par profession ou par sexe. Le résultat final de cette idée simple est lisible et aisé à la manipulation. Une vraie réussite réalisée à huit mains, soit globalement le nombre idéal de collaborateurs pour imaginer ce type d’application.

Open flic

Estimant sans doute pouvoir eux-mêmes esquiver la formule “servir et protéger” flattant leur corps de métier au-delà de l’Atlantique, certains flics (5% quand même) de Milwaukee, dans le Wisconsin, ont été réprimandés par la justice pour violation de la loi : beaucoup pour conduite en état d’ivresse ou trafic de plaques d’immatriculation, d’autres pour agressions sexuelles ou encore agressions physiques, ce qui revient au même sauf quand c’est une officier de police qui colle une droite à son copain dans un bar. Toutes ces données étant publiques, le Milwaukee Journal Sentinel (plusieurs fois vainqueur du Pulitzer) a décidé de pondre cette petite application de métaflicage où les amateurs de séries policières retrouveront les ingrédients de leur passion : tronche de méchant (sur ce point, c’est caricatural), classement des délinquants par délit, documents d’enquête ayant permis leur radiation, leur suspension. Ou leur blanchiment. Parce que le Wisconsin est un état comme un autre.

Toujours en mode sirène deux-tons, on attire ici l’attention des amateurs du légendaire Sim City et de ses cartes colorimétriques en 3D sur le site (application ?) pondue par les élèves de l’atelier de journalisme d’investigation de l’université de Halifax, au Canada. Ici, c’est une donnée publique plus “participative” qui y est manipulée : les quelques 130 000 appels téléphoniques reçus chaque année par la police locale, tant pour des questions de régulation de trafic routier que pour les plus horribles crimes. Grâce à la constitution de cartes présentant, par zones, à la fois les délits et les temps de réponse des autorités, ainsi que de graphiques rendant compréhensibles les différentes charges incombant à la police selon les heures du jour et de la nuit, il est possible de se faire une meilleure idée du travail fourni par les serviteurs de l’ordre et de la sécurité de l’Etat. C’est évidemment le type d’application qui offre la meilleure idée du bien-fondé de l’ouverture des données et de la raison pour laquelle tant de citoyens militent aujourd’hui pour une transparence absolue des données publiques à travers le monde : cerner les questions, regrouper des réponses, améliorer le quotidien.

Garçon, l’addition

Offrir à chaque citoyen un moyen simple de réaliser une opération complexe est également une mission pour le journalisme de données. C’est celle, justement, parfaitement remplie par le projet finlandais “Verokuitti Tax Receipt” : mettez-vous cinq minutes dans la peau d’un Helsinkien ayant téléchargé le navigateur Google Chrome permettant la traduction du finnois vers le français à la volée, et inscrivez votre revenu mensuel en euros, puis cliquez sur “Tulosta verokuitti”. Ainsi, vous y verrez en un coup d’oeil que votre salaire médian franchouillard de 1 653 euros vous rendrait contribuable à hauteur de 3 200 euros par an au pays du Père Noël ; que votre participation au bon déroulé de l’existence quotidienne du chef de l’Etat se monterait à 1,28 euro, et que celle de la construction du métro de l’ouest à 2,31 euros. Loin de vos efforts pour payer les intérêts de la dette, qui vous coûterait plus de 140 euros. Bref, une vraie mine d’or et un gage de transparence démocratique assumée comme on devrait en voir de plus en plus souvent dans nos contrées. Et ça fait du bien, rien que d’y penser.

Chronique de Sibérie

Intuitivement, l’application “Accidents avec les piétons à Novossibirsk en 2011” (traduction Google Chrome, suivez l’idée) n’est pas folichonne, mais elle part du même esprit de la mise en forme des données publiques pour rendre service à la communauté. Là encore basé sur un fichier partagé, la carte permet à tous de se figurer chaque accident ayant eu lieu dans la plus grosse ville de Sibérie au cours de l’année écoulée. L’application rend compte du lieu exact de l’accident, des parties impliquées (conducteur et piéton) et des dommages pour les personnes, et permet un filtre sur le mois (réglette supérieure) et le type d’incident.

Connais-toi toi-même

Prévoir ce que nous serons : c’est un peu ce que propose l’application “Visualizing Our Future Selves” face au vieillissement inexorable de la population. Grâce au travail de News21 dans les domaines de la démographie, de la santé et de l’économie, il vous est possible d’anticiper l’avenir et de vous y situer par rapport aux autres au regard de plusieurs critères (âge, sexe, race – dans le sens sociologique utilisé aux Etats-Unis -, finances). Là encore, nous sommes en présence de la mise en musique de données globalement trouvables mais complexes à appréhender. Et lorsqu’une touche d’interactivité est proposée, cela ajoute évidemment de l’intérêt au tout.

Tu connaîtras l’univers

Outrages, agressions, violences. Le lot quotidien des journalistes qui veulent exercer leur métier en Afghanistan. Pour lutter à sa manière contre ce fléau qui sévit particulièrement depuis 10 ans, l’équipe de Nai MediaWatch a dressé une cartographie drastique de ces 266 incidents qui ont causé la mort de 22 personnes à ce jour. A noter, toutes les données présentes sur le site sont téléchargeables et réutilisables à l’infini.

Et les Dieux

Véritable coup de coeur de la semaine, c’est la magnifique application “2011 Brazil State-Level Business Environment Ranking” (Flash), qui fait guise de tableau de bord statistique d’une merveilleuse exhaustivité et d’une exemplaire clarté de la situation au Brésil. Fondé sur 32 pages de méthodologie (en portugais, on vous laisse le bonheur d’en prendre connaissance), ce remarquable travail de synthèse n’a aucun défaut et devrait être rapidement copié dans les rédactions du monde entier : il est en effet compliqué de rendre compte de manière aussi limpide de l’état d’un pays à un instant donné.

Faciès

Closant cette sélection de projets pour un journalisme de données de qualité, “Known to police” est une vidéo réalisée par le Toronto Star pour dénoncer les pratiques de fichage systématique des citoyens à des fins de constitution de bases de données policières, officiellement pour améliorer l’avancée des enquêtes criminelles. Mais en recoupant ces informations, il apparait que certains citoyens contrôlés dans la rue le sont plus souvent que d’autres. Fortuitement ?

On retrouvera sans doute une partie de ces projets à Paris fin mai pour la remise des prix. Articulée autour de l’accroissement sensible de la libération des données (Open Data) à travers le monde au cours des douze derniers mois, l’idée même du journalisme de données continue de faire son chemin à travers ce type de récompense. Carotte gourmande sans bâton visible à ce jour, le “ddj” – dont on ignore encore aujourd’hui s’il constitue un moteur économique à l’évolution des médias ou bien s’il n’est qu’un jouet coûteux dans la chaîne de transformation des métiers liés au journalisme, le “data” journalisme tient donc là son événement fédérateur. Déjà mondial, le sujet a, au moins, le mérite de rassembler force motivation au sein des plus inventives communautés.

Nonobstant les incertitudes et les questionnements liés à l’avenir des médias, on se rejouira donc de profiter du vent frais et citoyen brassé par cette discipline du journalisme de données, comme une herméneutique d’un monde nouveau. En attendant la gloire, les prix et la richesse éternelle, c’est toujours ça de gagné.


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